Accroche toi à tes rêves, Hold fast to dreams
Si tu les laisse mourir, For if dreams die
Ta vie sera oiseau sans ailes Life is a broken
bird
Qui jamais ne saura voler that cannot fly
Accroche toi à tes rêves, Hold fast to dreams
Si tu les laisse mourir, For when dreams go
Ta vie sera terre stérile Life is a barren field
Et neige glacée. Frozen with snow
Langston Hugues ( trad. Henri Dumoulin)
Le temps de Titan n'est pas celui de la Terre, les cycles
sont tellement plus longs, les humains s'y sont adaptés:
8 jours de nuits relatives avec la clarté laiteuse de
l'énorme globe de Saturne, le veilleur omniprésent, et 8
jours d'un soleil lointain, froid, à peine un peu plus brillant qu'une pleine lune radieuse sur terre ! Une année qui dure trente années terrestres.... un environnement, une ambiance qui impose forcément son rhytme !
Après le temps des questions vint le temps des interrogations , après la certitude des faits, des extraordinaires synchronicités , incontestables mais inexplicables ( découvertes simultanée des fossiles sur Mars et Titan, réception du signal dans des bandes de longueurs d'onde colossales plus encore que les ondes
gravitationnelles) vinrent les spéculations les plus
hasardeuses, les plus poétiques.....Et surtout, cette constatation d'un arrêt total de l'émission de ce fameux
signal! Était-ce un rêve, une hallucination collective,
fréquentes sur "l'harmonia mundi" qu'était Titan leur petite planète chantante, paradis des humains capables de voir réellement des paysages musicaux d'habiller de couleurs les sombres reliefs de ce monde lointain....On avait causé, causé, puis classé, organisé, digéré
l'inexplicable, la vie avait repris son cours, à l'ombre de
Saturne ,source de bienveillance......
Le temps passa, Argus ne faisait plus l'oiseau, sur terre il aurait eu maintenant.....voyons, voyons, presque 130 ans, ça fait quand même beaucoup pour un banal humain, il savait bien que son cycle arrivait à son terme. Il utilisait
un de ces petits aéronefs individuels si nombreux sur
Titan, la faible gravité, un air dense, permettait de faire voler très facilement de petits engin très silencieux en utilisant de bonnes vieilles et grandes hélices tournant au ralenti! Il ne se lassait pas de réinventer musicalement
son monde avec lequel il "conversait" répondant à l'aide
d'un interface technique de son invention aux harmonies titanesques par ses propres harmonies, la symbiose était
complète, le présent permanent, il se détachait
insensiblement des humains, non pas par dépit, mais simplement par un besoin irrépressible d'avoir une
nouvelle vue d'ensemble de son monde...il n'allait pas
être déçu , le meilleur était pour la fin, son destin lui
offrait une ultime et fabuleuse rencontre:
Il venait de poser son petit avion dans une zone désertique , majestueuse, près d'un immense lac de méthane qui scintillait magiquement aux faibles rayons du soleil, il marchait lentement, sans le moindre effort , comme sur terre un marcheur lesté au fond de l'eau, il se
sentait bien, immensément bien, il sentant pourtant que
sa fin approchait, il était prêt à cela , comme un veilleur attend l'aurore......Et puis c'est arrivé, inexplicable , impensable , invraisemblable, derrière lui, tout près, une petite voix enfantine disait :" S'il te plaît.....Je peux t'appeler Papy!!!!!"
Argus fit un bond, se retourna brusquement....un
garçonnet au regard profondément paisible et affectueux le toisait avec un naturel qui le laissa sans voix.....et en plus, cet enfant ne portait aucune tenue spéciale, une écharpe jaune négligemment jetée sur ses épaules, pas de masque respiratoire, pas de combinaison chauffante.....impossible à croire!
Il y avait encore plus invraisemblable, dès que son regard.
quitta le petit bonhomme, il se posa sur un paysage
maintenant tout à fait terrestre, un soleil intense, une mer bleue, le clapotement délicat de vaguelettes sur le sable jaune d'une plage, autour, des palmiers le bâches,
des palétuviers à perte de vue, des escadrilles de
bécasseaux .....et de nouveau cette voix insistante:" S'il te plaît, je peux t'appeler Papy! Et tu sais, ici tu n'as pas besoin de tout ce que tu portes, met toi à l'aise, vient t'assoir sur le sable, à côté de moi ! Je vais tout t'expliquer, tu vas voir, ce n'est pas compliqué !
Quand nous suivons ou essayons de suivre la pensée d'autrui, nous pouvons prendre deux attitudes différentes, l'une de tension et l'autre de relâchement qui se distinguent surtout par ce que le sentiment de l'effort
est présent dans l'une et absent dans l'autre ( Henri Bergson 1967 dans l'énergie spirituelle page 153) ,
Argus était dans le relâchement total, il ne conceptualisait plus, ne souhaitant que rester, l'espace
de cet instant au goût d'éternité en état de rêve éveillé.....il enleva son masque, retint son souffle, senti la chaleur d'un air tiède, humide, l'odeur de la mer, une
sensation indescriptible pour lui, impulsivement, il retira sa combinaison , se pencha vers le petit bonhomme qui
éclata de rire ": C'est drôle Papy, chez moi c'est tout le contraire , je suis très très vieux et c'est toi le nouveau-né adulte...." petit bonhomme dit Argus:" tu t'appelle comment?"
- Ben....Argus., comme toi, c'est normal"
- Ah bon, tu trouves tout ça normal , toi!"
- Écoutes Papy, je n'ai presque plus le temps de tout te raconter,très bientôt je serai trop jeune pour parler comme les adultes, je serai un bébé dans tes bras et toi aussi tu vas bientôt...mourir, alors écoute moi bien, je vais tout te dire, mais je voudrais d'abord m'assoir sur tes genoux"
- Argus n'avais jamais eu d'enfant , pris dans le tourbillon d'une vie de saboteur extraordinaire appelé sans cesse d'un bout à l'autre du système solaire pour ...lubrifier la vie des sociétés humaines, il prit gauchement sur ses genoux le garçonnet qui soudain lui paru un peu plus jeune que tout à l'heure ....! Il l'écouta longuement
, le yeux mi clos perdu dans l'immensité d'un paysage qu'il n'avait jamais connu, lui raconter, à sa manière, sa vie d'Empyrien, de créateur d'univers!
- Au bout d'un temps qu'il ne pouvait estimer, le soleil commença à se rapprocher de' l'horizon, le langa ge du petit enfant maintenant dans les bras d'Argus passa insensiblement au babillage du bébé , et lorsque le soleil disparu entièrement dans la mer , le dernier regard échangé entre le vieillard et le nouveau né les rassembla pour une nouvelle éternité, Uelque part , dans l'univers, un nouvel Empyrien était apparu, en puissance et en gloire, digne héritier des deux Argus!