dimanche 16 mai 2021

La bicyclette rouge


"La bicyclette rouge"





Quelque part entre Couéron et Nantes, la chaîne du vélo pousse sa ritournelle, Mimi, la fille de Célestine peine sur l'asphalte lessivé par les pluies d'automne . Bientôt la Chabossière, et après Saint-Herblain, et après Nantes, la clinique, allez encore un effort, la belle rouge, la Peugeot payée par son beau-père, une pour elle et une pour sa fille, Thérèse, la petite soeur d'Henri. 
Elles s'entendent bien toutes les deux, mais Mimi  préfère la compagnie de sa grande copine de pensionnat à l'école technique de Talensac à Nantes, Yvette Auffrais, c'est avec elle qu'elle fait de grandes escapades à vélo entre Couéron, Nantes et Nozay. Mimi est un peu gênée par la vitalité débordante de sa demie sœur qui n'a pas froid aux yeux et se maquille tout le temps.



Elle a 18 ans, mais sa mère l'appelle toujours Mimi, normalement c'est Marie, et bientôt, dans 4 ans, elle sera ma mère! Depuis le début de l'occupation allemande, elle et sa demie sœur, Thérèse partagent leur jeunesse entre une activité domestique ( une semaine au magasin puis en poussant seulement la porte derrière la caisse qui trônait à droite en entrant dans le magasin, une semaine à la maison ( ménage, cuisine; prise en charge des petits : Monique, Yves, Jean et René, le dernier, et des loisirs  limités par le contexte politique, et le couvre-feu, bibliothèque, cinéma, et surtout théâtre, la scène, le chant, les amis, la vie qu'on invente au jour le jour ( toute petite il arrivait que sa mère, jeune veuve accaparée par sa petite épicerie, la dépose  chez une amie à 100m, sur la place dé l'église St Symphorien, à l'auberge du cheval blanc, et maman m'a raconté qu'on la mettait quelque fois sur une table pour la faire chanter! ) 


Mimi se hâte vers Nantes pour informer sa mère, temporairement dans une clinique pour une intervention chirurgicale, du retour  tant espéré d'Henri, le fils de son deuxième mari, après un périple à très haut risque de deux ans en Algérie puis dans les prisons espagnoles où le typhus faisait des ravages, une source permanente d'inquiétude et d'angoisse pour sa famille.

Il y a en effet de quoi pousser sur les pédales, au mi-temps de cette belle journée de novembre 42, elle avait hâte de rentrer, de voir apparaître sur le seuil de la maison du 8 rue Henri Gautier à Couëron , un jeune homme souriant, au teint mat, coiffé d'une sorte de tube rouge avec un pompon, une grande cape sur les épaules.




15 novembre 1942, un homme est assis dans un compartiment du PLM, le train Paris Lyon Marseille qui depuis 1937, fait cette étape en neuf heures (5h14 sur Paris - Lyon) avec des pointes à 140 km/h. Il porte l'uniforme des chasseurs d'Afrique, la haute Chéchia sur la tête, la cape sur les épaules, le convoi est en train de quitter Lyon, la nuit tombe, c'est un tout jeune homme, il vient d'avoir 21 ans mais il a déjà bien roulé sa bosse depuis deux ans, rien de ce qu'il avait imaginé ne s'est réalisé comme il l'aurait voulu, il est déçu, il n'a pas réussi à passer en Angleterre, à rejoindre le Général de Gaule, il a trainé dans un bataillon de chasseurs d'Affrique à Oran, a déserté avec deux amis dans l'espoir de passer au Maroc, l'ambassade anglaise, Londres, un seul des trois a réussi, et lui s'est retrouvé pendant des mois dans des  prisons infectes dans l'enclave espagnole de Mélilla puis en Espagne, il s'est fait expulsé, remettre à la justice militaire à Montpellier, celle ci a été clémente vu les circonstances, l'a renvoyé à son point de départ, à Marseille....il s'appelle Henri Dumoulin, il rentre à la maison, il est démoralisé, déboussolé, c’est mon père ! 



En cliquant sur le lien ci dessous vous en apprendrez plus sur lui ....



j'ai eu 20 ans en 1941



À ses pieds, une valise de carton bouillie, solidement renforcée par des lanières de cuir. À l’intérieur peu de choses, de la nourriture, un fromage de gruyère en entier, des jambons.... contrebande, marché noir? Même pas, réquisition autorisée en catastrophe, ultime cadeau du colonel commandant le régiment avant dissolution de celui-ci et ouverture des bâtiments de la caserne aux troupes allemandes ! 



En effet, dans les suites immédiates du débarquement allié en Afrique du Nord l'armée allemande a franchi la ligne de démarcation et pris possession du territoire de l'État français sous l'autorité jusque-là du gouvernement de Vichy.



Dans quelques heures, à l'aube, il sortira de la gare de Lyon retrouvera Paris quitté il y a juste deux ans prélude à une longue aventure qu'il a fort bien raconté dans son ouvrage paru en 1949 « trois garçons désertèrent" 

Pour l'instant il a faim, il n'a pas un sou mais dans sa valise, en jambon et fromage, de quoi troquer, en ce temps de restrictions,  un bon petit repas et même ce soir un hôtel!  


Henri, est de retour !


En peu de temps la nouvelle du retour  a traversé le bourg depuis la bijouterie de Mr Imbert, l'ami, le confident de son père, en face de l'église, jusqu'à la boutique du cordonnier Desmas et l'atelier du garagiste Mounic, rue henri Gautier, en face du magasin de vêtement à l'enseigne :" A Jeanne d'Arc" racheté vingt ans avant aux demoiselles Lebreton par mon grand père Henri Dumoulin avec, en prime le mariage avec leur chère nièce :" Rose Lebreton", la grand mère que je n'ai jamais connue, l'âme sensible qui voulait faire de mon père un violoniste, erreur il composera avec la plume, pas avec l'archet! 

Vous imaginez  la scène des retrouvailles avec son père, sa sœur cadette de 4 ans : Thérèse, la fille de sa belle mère: Marie et ses demi frères: Monique, yves, jean et le petit René! Une longue soirée de discussion tard dans la nuit, le tête à tête avec son père, dans la véranda nouvellement construite, avec comme témoin la grande horloge comtoise ! 



Au bout de quelques semaines, mon père, habitué désormais à une vie autonome, éprouve le besoin de s'installer à Nantes, reprenant goût aux études, il se réinscrit début 1943, à l'école de  médecine qu'il avait déjà fréquenté quelque mois trois ans auparavant, mon grand père lui loue une petite chambre dans le quartier du Procès non loin de la Chézine. Il reprend un moment une vie insouciante d'étudiant, traînant un peu partout avec, entre autres un certain Laurent Jestin, un ancien du Loquidy, fils de commerçants de la rue du Pilori. À propos de leurs escapades ensemble papa ne m'a parlé que des intrusions au Jardin des Plantes pour rentrer dans les bassins et attraper à la main de grosses tanches qu'ils glissaient discrètement sous leurs vêtements ...laurent Jestin sera présent à son mariage en 1945!  ( le grand au milieu au dernier rang) .






Il ne retrouvera pas, à sa grande tristesse, un autre camarade du Collège St Joseph du Loquidy à Nantes, un des treize élèves de la classe terminale de mathématique et philosophie, un certain Jean Pierre Glou qui était partant comme lui pour tenter le ralliement à la France libre 


Jean Pierre Glou, bachelier avant 17 ans, entré  à l’École polytechnique de l’Ouest dans la section des Travaux
publics. Il avait en effet, comme mon père et bien d'autres jeunes, passé la ligne de démarcation pour rejoindre le midi de la France, voulant gagner Dakar, la France libre, son père l'avait persuadé de rentrer, il était entré dans un groupe de résistance, Il aidait à l’évasion des prisonniers de guerre de Châteaubriant et de Savenay et à la fabrique de fausses cartes d’identité. Le 12 mai 1941, il est arrêté à Nantes pour « trafic de lettres ». Lors de son interpellation, il était porteur d’une lettre adressée en zone libre.
Incarcéré à la prison Lafayette de Nantes, il est jugé par le tribunal militaire allemand de Nantes qui, faute de preuves, le condamne à six semaines de prison. Néanmoins, Jean-Pierre Glou est désigné comme otage par les autorités allemandes, qui le maintiennent  en détention et le fusillent comme tel le mercredi 22 octobre 1941 à 17h au champ de tir du Bêle, à Nantes, en représailles à la mort à Nantes du lieutenant-colonel Karl Hotz.

Voici sa poignante dernière lettre écrite quelques heures avant sa mise à mort, le 22 octobre 1941




Mon cher petit Papa, Ma chère Jeannette, 

Quand cette dernière lettre te parviendra, ton fils chéri aura rejoint sa mère, ses dernières pensées seront pour toi et pour Jeannette et les deux petites, qui grandiront, je l’espère, en ignorant les affres de la guerre. 

Je te demande pardon pour toutes les fautes que j’ai pu commettre envers toi et ma pauvre grand’mère. Tu lui annonceras bien doucement que son petit-fils, qui l’a beaucoup aimée, pense à elle à ses derniers instants. 

Je lègue tout ce qui peut m’appartenir à toi, je sais que tu sauras en faire le meilleur usage que quiconque.
Avant de passer, je demande pardon à Dieu de toutes mes fautes et lui offre ma vie pour que tu sois heureux avec Jeannette longtemps encore, ainsi qu'avec Jannie et Jacqueline, pour que plus tard elles soient des jeunes filles, puis des femmes modèles.
Cette épreuve sera dure pour vous tous, et pour toi, qui m’aimait tant. 

Je te demanderai une dernière chose, celle de faire dire des messes, pour le repos de mon âme et pour que Dieu me pardonne toutes mes fautes, pour que, bientôt, je puisse goûter aux joies éternelles dans son Paradis. 

Je prierai pour toi, mon petit père, et je m’acquitterai ainsi de la grande dette de reconnaissance que je te dois pour l’éducation et les soins que tu m’as prodigués depuis toujours. 

Je prie Dieu pour qu’il donne à grand’rnère, qui m’a élevé de toute son âme, le courage de supporter cette dernière épreuve et je lui demande de reporter sur les deux petites l’affection qu’elle avait pour moi. Je voudrais que tu dises mon dernier bonjour à tous mes camarades d’école et de sport. 

C’est l’âme en paix avec Dieu que je quitte cette terre, j’offre ma vie pour tous, pour notre famille, pour la France, pour qu’elle redevienne florissante et calme comme aux beaux jours.
Gros baisers à toute la famille, tonton Georges, Auguste, leurs femmes et leurs enfants.
Je te demanderai mon petit père d’aller voir la petite Ginette, tu lui diras mon affection. Je forme des vœux pour qu’elle soit heureuse toute sa vie.
Je pardonne à tous ceux qui m’ont fait quelque tort. Vive la France
Que la volonté de Dieu soit faite
Votre fils qui vous aime.


 Très vite, les terribles bombardements de Nantes du 16 et 23 septembre 1943 feront basculer de nouveau son destin alors que s'esquissait  une relation amoureuse avec la jeune Mimi qu'il avait quitté adolescente pour retrouver en charmante jeune femme! 

Maman vient d'avouer bien longtemps après, à 96 ans, qu'à cette époque, elle avait menti plusieurs fois à sa mère, prétextant des courses à Nantes pour sauter sur son vélo et rejoindre Henri à Nantes....

Pourtant, au bout de quelques mois, Marie fit comprendre un jour à son "fiancé de cœur" que, puisque entre eux c'était une affaire sérieuse, elle devait en informer sa mère!  C'est comme cela que mon histoire a commencé....


Le quotidien ne leur a laissé le temps jouer les tourtereaux bien longtemps, une jeune femme de 20 ans , Annic JALLAIS, soeur de deux amis d'enfance ( ils habitaient dans les hauts de Couéron près de la petite menuiserie du grand père Lebreton et leur père s'occupait du cimetière ) disparaîtra sous les décombres place du commerce, on ne retrouvera que des débris de ses vêtements ....Annic était une amie d'enfance de Maman, qui perdra également ce même jour deux autres amies: Suzanne Cavet, 26 ans fille d'un ingénieur de l'usine Pontgibaud, et une autre connue à la JOC dont elle a oublié le nom, mais, elle se souvient de son enterrement! Le 16 septembre, jour tragique Maman  était partie sur sa bicyclette rouge, pour quelques jours chez une amie du pensionnat de Talensac, à Nozay !






Tout laisse à penser en effet que cette catastrophe a été pour Papa , l'occasion d'une prise de conscience de la nécessité de passer de la résignation à l'action comme le suggère l'hymne des partisans:" Ohé, partisans, ouvriers et paysans, c'est l'alarme.....Ami, entends-tu les cris sourds du pays qu'on enchaîne....montez de la mine, descendez des collines, camarades!


L'occasion de cette action naîtra bien vite dans le faubourg est de Couéron, dans la cité du Bossis naval, la cité des polonais. Construite après 1918 pour répondre à un besoin d'ouvriers pour les forges de Basse Indre ou l'usine Pontgibaud, en lien avec l'arrivée d'une main d'œuvre polonaise.

Des soldats de l' armée allemande  d'origine polonaise ( incorporé à la suite de l'invasion de la Pologne en 1939 dans la suite du pacte germano soviétique) en casernement à Nantes, prirent conscience de la présence de compatriotes, réussirent à entrer en contacts et pour certains désertèrent, se cachant en particuliers avec l'aide de la famille de Jean Niescierewicz, un ouvrier des forges de Basse Indre et syndicaliste CGT.



Cet homme avait un fils, un ami d'enfance de mon père ( Papa m'a souvent parlé de Niesté, comme il l'appelait en abrégé ) .


L'histoire s'est brutalement emballée un jour avec l'arrivée en grand secret, avec l'accord de mon grand père, à la maison du 8 henri Gautier, d'un soldat de la Wehrmacht, un grand gaillard blond qui parlait le polonais, et que l'on se hâta après avoir confinés les enfants dans une chambre, d'enfermer dans la petite chambre du premier étage , à gauche en haut de l'escalier ( celle de René par la suite, et par la suite la mienne l'année de mes 8 ans ). 

La mission  était de le garder quelques jours, le temps de lui organiser une cachette sûre dans les 2000 hectares des marais de Couéron ( aujourd'hui marais Audubon) de faire disparaître son uniforme ( il sera brûlé dans la buanderie, comme ensuite la tenue d'un pilote anglais  ) , de lui faire faire à Nantes, un costume à sa grande taille, tout se passera bien, d'autres déserteurs seront pris en charge à la cité du Bossis.

Un réseau de résistance était né dans lequel on retrouvait pour les plus jeunes, les frères Jallais, le fils Niesté et mon père, d'autres les rejoindront dans les îles du marais de Couéron ! 


A ce stade de ma tentative de "reconstruction historique", j'ai essayé, pour tenter de mieux comprendre le déroulement des événements, de rapprocher des récits et des faits récoltés à diverses sources: livre d'or de la résistance, articles d'éditions spéciales de Ouest France, déclarations d'Eddy Warmington, un des aviateurs anglais récupérés et qui a pu rencontrer Papa cinquante ans après, en 1994,  et bien entendu petits détails, souvenirs ressuscité, un nom, un prénom réapparaissant soudain dans la mémoire de maman au fil de nos bavardages en essuyant la vaisselle....! 


Une affaire à suivre en cours de montage, à très bientôt !!!!


Pour rappel, voici l'histoire du père d'henri, mon grande père Henri Dumoulin né en 1894:


20 en 1914 saison 1


saison 2


saison 3