dimanche 22 octobre 2023

Buzenval 3 juin 1925

 


Buzenval  3 juin 1925


Ma Cicine très chérie 

Tu m'avais traité dans une de tes dernières lettres de vilain gourmand, me disant que j'étais gâté de recevoir si souvent des nouvelles, mais je crois que ça va être à mon tour de t'en dire autant. J'avais pourtant dit que je n'écrirai que deux fois la semaine, hélas voilà trois lettres en quatre jours, aussi maintenant je n'en récris plus avant dimanche! 

J'ai eu un cafard formidable ce matin, je te le dis, car tu as dit je crois qu'il fallait que je raconte toutes mes peines, et bien voilà je suis arrivé au vestibule, juste comme le facteur arrivait, machinalement j'ai attendu qu'il avait fait la distribution. Le voilà qui sort un espèce de paquet, car hélas, on ne pouvait dire que ce paquet était une boîte, et puis il perdait par tous les pores de la peau de la graine de biscuits, j'en aurais pleuré, de penser que tout ce qui allait ainsi être perdu aurait fait ainsi bonne fête à mon estomac. Hélas trois fois hélas, ce n'était pas tout, une fois le paquet déficelé, j'aperçus parmi les quelques massepains sauvés du naufrage, une boîte de pastilles Salmon. Je l'ouvris et pû seulement constater qu'il y avait eu des fraises, celle-ci étant réduites à leur plus simple expression. 

Mais mon cafard s'est fondue avec un berlingot que j'eu soin d'absorber après toutes ces émotions.Tout cela pour te dire, "mon petit poulet frit", qu'il est inutile de m'en envoyer d'autres ou bien lui faire un emballage plus sérieux. Enfin tout n'est pas perdu et j'en ai pour un moment, surtout que je mange très peu à 4h, mangeant très bien aux autres repas.

Je blague un peu jusqu'ici et je suis sûr que tu attends quelque chose. Et bien oui, je suis passé à la radio ce matin avant le déjeuner. Je n'ai pas eu de grandes explications car nous étions plusieurs à passer et il ne faisait pas chaud à attendre demi-nu à la porte. Le résultat est à peu près le même que ce que disait le docteur de chez nous. "  Lésion assez prononcée et ancienne au sommet du poumon gauche, et il y a quelque chose aussi au sommet du poumon droit ". L'examen de mes crachats donne très peu de bacilles, un ou deux par " chambre". Je ne saurais trop ce que ça veut dire, mais ce que je sais c'est qu'il y en a qui en ont jusqu'à 10 et 12. Comme le docteur vient samedi m'ausculter, je lui demanderai de plus amples explications.

J'ai reçu une lettre de Joseph ce matin ; je ne sais si je suis me suis mal expliqué, mais ils m'ont acheté une couverture blanche, Marie n'a pas pu trouver de sac à linge. Je pensais que puisque tu fais un colis, que tu aurais pu m'en faire, cela sera encore le plus économique. Tu fais ça en toile forte blanche, quelque chose de résistants, comme dimensions environ 31 cm de large sur 90 de haut. Une forte coulisse dans le haut, et il faudra marquer sur le haut également le numéro 21, c'est mon numéro de chambre et il me suit partout. Tu le feras également sur les deux sacs. Maintenant il faudrait que j'aurai ce colis au plus tard mardi soir ici. Je crois t'avoir dit que le linge partait "au sale" tous les mercredis, il ne revient que le vendredi de la semaine suivante. Par conséquent n'ayant pas de sac, je n'ai pû en mettre aujourd'hui. Et si je le mets mercredi prochain, je n'aurai mon linge que le vendredi 19, je suis certain de n'avoir pas assez de chemises et cols à ce sujet. Enfin si tu fais ce que je t'ai dit hier, je pense que ça pourra aller. Joseph vient demain tantôt me voir.

Je reviens à Monmonde, tu me dis que tu voudrais la mettre dans une chaise longue, Elle sera très mal à l'aise, car il ne semble pas que son corps soit ainsi maintenu droit. Parles en donc au docteur, à l'occasion ton père pourrait peut-être te faire un genre de petit " lit chaise longue" assez léger sur lequel tu y mettrais un petit matelas pour un bambin. Enfin tu fais pour le mieux, j'espère que ça marche comme tu as l'air de le dire, je veux parler du commerce. Je t'en parlerai une autre fois. 


Embrasse bien les petites pour moi, jusqu'ici j'en faisais l'oubli. Bonsoir mon petit lapin. Ton petit mari qui t'adore et te voudrais près de lui

Raymond




Couéron le 10 juin 1925.


Mon Raymond chéri.

Tout ces jours-ci je te délaisse un peu car je ne t'écris pas tous les jours, la faute en est à mon nettoyage, mais le voila qui s'avance, il n'y a plus que la grande chambre à frotter, je la réserve pour Madame Porchay demain matin car c'est moi qui frotte la salle à manger et la petite chambre et j'en suis toute courbaturée.

Quand ce sera fini la maison sera propre je voudrais qu'elle le soit toujours, c'est pas peu dire.

J'ai reçu une lettre de toi ce soir, je remarque que sur tes lettres il y a toujours une petite pointe d'ennui et de tristesse d'avoir laissé ton foyer, je ne veux pas te le reprocher car c'est tout naturel mais je ne voudrais tout de même pas que cela fasse tort à ta santé, alors mon petit Raymond il faut être courageux. Dans une de tes dernières lettres, tu me disais que j'avais l'air d'avoir du courage, je crois bien que le bon Dieu accorde toutes les grâces en temps voulu, car il est vrai que je m'arrête guère à toutes nos misères, je me donne toute entière à mes occupations qui ne me laissent guère de temps de libre, je voudrais que tu retrouves ton commerce en pleine prospérité, je ne sais pas si j'y arriverai, mais je vais toujours faire tout mon possible, ensuite les occupations de la maison, des enfants, des inquiétudes au sujet de ta santé et Raymonde par là-dessus, je t'assure que je suis bien occupé. Comme je te l'ai dit j'ai la photographie de la radio je te l'apporterai quand j'irai te voir car nous la ferons plâtrer le vendredi 19 courant.

Voici en quoi consiste le traitement: cinq mois de plâtre, deux mois et demi d'une pose et deux mois et demi d'une autre et en deux mois d'une immobilisation dans le sable cela veut dire deux mois dans un appareil en planche attaché avec des sacs de sable, ceci sera paraît-il le plus dur car il ne faut pas les lever du tout, même pas pour faire leurs besoins, on les met à l'aide du vase plat durant ce temps, on leur fait une fois par jour un massage afin de donner redonner la vie à la jambe. Voilà ce que je t'ai dit dans ma phrase incomplète ( faute d'avoir pas relu!). Comme il ne faut pas la bouger les premiers jours je me suis décidé à descendre le lit de coin dans la salle à manger afin de nous éviter de la fatigue, il aurait fallu en arriver là au moment de l'immobilisation dans le sable. 

J'irai payer les fagots à Monsieur Bardy quand j'aurai reçu son wagon, , je ne l'ai pas encore. Monsieur Bernard nous a envoyé cette fois-ci un wagon superbe mais il en manquait deux.

Tu nous demandes les "  veillée des chaumières", je croyais que tu devais t'abonner, mais enfin j'en ai quatre numéros depuis que tu es parti. Car j'avais oublié de prévenir Henriette, mais maintenant je l'ai prévenu. Si tu veux que je continue à les prendre il faudra me le dire mais j'aimerais mieux que tu t'abonnes.

Tant qu'au foin, nous avons tout commandé au père Grelier mais il m'a averti qu'il prendrait plus cher que l'année dernière. Bageot veux le mettre directement dans le grenier pour le faire manger tout de suite, mélangé avec le vieux.

Tonton et tante ( * les Gourby de Paris avaient une petite maison au Pouliguen, pas loin de chez René et Paule ) sont arrivés ce matin à Couéron, tu vois la franchise de Tonton ! Je lui ai demandé s'il savait que j'allais platrer Raymonde, il m'a dit que non et tante est venu par derrière me disant que tu lui aurais écrit. Il partent demain pour Paris, ils vont te voir, je voudrais bien si c'était possible qu'ils ne te trouveraient pas couché car ils sont toujours les mêmes, et pourtant je t'engage à le faire si cela arrivait à faire tomber ta fièvre, car cela m'ennuie de te savoir avec une température pareille, écoute bien les avis du médecin à ce sujet. 

Alors je vais te quitter car voilà ma feuille pleine, quelle te porte, cette petite lettre, toute l'affection que mon cœur te garde. Je voudrais te presser sur mon cœur et t'embrasser sans fin.


notes ajoutées autour du texte: 

J'ai reçu la visite de Tante de la Croix Bonneau, ils te réservent une surprise pour d'ici quelques jours.

J'ai reçu une circulaire de chez Leborgne, le charbon est toujours au même prix. Je vais commander ces jours-ci un wagon de gaillettes chez eux sans doute. Ces jours-ci ne donnent pas très fort comme charbon car il fait un chaud terrible, la journée d'hier a donné 470 Fr. de charbon et 15 heures de roulage. Aujourd'hui 280 francs et 18h de roulage et commencé un wagon de charbon.

Mr Blangy m'a envoyé le relevé de tonnage de sa ristourne, elle s'élève à 1155f 05










Mathieu d'Arras

samedi 21 octobre 2023

2 juin 1925

 Lien vers le sanatorium







Buzenval, le 2 juin 1925


Ma bien chère petite femme

Je crois que j'ai été gâté aujourd'hui, une lettre de toi ce matin, deux autres après-midi, plus une carte de Marie…

Je n'avais pourtant pas l'intention d'écrire aujourd'hui, car c'est demain que je passe à la radio, et je voulais attendre le résultat pour te l'envoyer, mais devant cette abondance je me résigne à prendre la plume ( le méchant vas-tu dire ). Sais tu bien que j'écris tous les jours et que je dispose de peu de temps pour écrire. Pense donc un peu à tous ceux à qui il faut que j'écrive. Bien sûr tu passes la première, tu n'en doute pas j'espère. Tu vas sans doute dire que je blague, quand je dis que je n'ai pas beaucoup de temps pour écrire, ainsi maintenant il est une heure moins le quart à 2h je veux être à la cure pour après avoir le moins de température possible à 6h.

Sois tranquille ma chérie, je ferai tout ce qu'il est nécessaire de faire pour améliorer mon état. Jusqu'ici ne prends pas trop ma lettre au sérieux, j'avais peut-être un peu de cafard, maintenant c'est passé et le moral n'est pas mauvais. Je fais toujours de la température la faute en est au repas de dimanche dont je t'ai parlé. 

Voici d'ailleurs le détail de ce fameux repas : entrée: Radis et crevettes au beurre, ensuite du jambon légèrement fumé, et ma foi excellent ensuite poulet rôti avec salade, avec cela des asperges grosse que mon pouce et je t'assure qu'il y en avait pour deux, après je crois qu'il y avait du fromage frais puis de la crème à la glace, le tout arrosé par le carafon de bière habituel, du Grave, du Pommard, une grande coupe de champagne Mouet et Chandon ; nous avons enfin terminé par un excellent café. 

Résultat nous sommes sortis de table à 2h30, la cure en a été grevé de tout ce temps, finalement à 6h  ( dois-je te le dire ? ) j'avais 39, 4, tu penses si je sauté, le soir je n'ai presque pas mangé ; j'ai terminé ta lettre que j'avais commencé et je me suis mis au lit ; j'ai repris ma température, j'avais 38°. Elle avait déjà bien baissé. Le lendemain matin j'avais 36,7. Hier au soir 38,5, ce matin 36,7 et ce soir j'espère ne pas dépasser 38°. Je vais d'ailleurs te le dire tout à l'heure car il est cinq heures et je m'arrête là.

Me voici revenu j'avais ce soir comme température 38,3. Ça ne baisse pas vite, mais ça baisse tout même, et puis la digestion se fait toujours mal, aussi j'en parlerai à la prochaine visite de docteur, mais surtout ne t'inquiète pas outre mesure, je crois t'avoir dit que les deux docteurs m'avait vu samedi dernier et m'ont trouvé les poumons congestionnés par le voyage sans doute, et ils vont certainement me laisser en observation d'ici un moment. Parlons un peu de Couéron, c'est-à-dire de vous. J'espère d'abord ma petite chérie que tu es remise de tes maux de dents et qu'on n'en parle plus ; j'ai bien peur que cela te donne beaucoup de travail et que ta santé en soit chamboulé. Ménage toi surtout pense que tu as deux petits-enfants qui ne demande qu'à vivre et un petit mari qui t'aimes peut-être un peu trop car ça ne serait pas si dur d'être au loin si on s'aimaient pas autant. Ne nous frappons pas, les mauvais jours passeront eux aussi et nous aurons encore, j'espère si Dieu le veut, le bonheur de vivre ensemble. Je vois d'abord que Raymonde est toujours aussi gaie.Tant mieux, tu me demandes mon avis au sujet de son opération. Je suis d'avis de faire cela au plus vite, c'est-à-dire quand le spécialiste te le dira. Tout cela évidemment occasionne des frais, mais, a Dieu va ! 

Tu as pris une bonne résolution en envoyant Marie chez Lucile. Tu auras ainsi plus de temps à donner à Raymonde, et je vois qu'on t'aidera. Malgré cela si tu pouvais habituer Raymonde à prendre un peu son mal en patience, de manière à n'être pas toujours prés d'elle, ce serait beaucoup mieux. Il faudra justement que j'écrive demain chez Lucile pour les remercier de ce qu'ils font. Mais je vois une chose c'est que tante Bretécher n'a pas l'air de beaucoup se déboutonner. Il faut que ce soit des étrangers comme Michel Baranger qui viennent spontanément nous offrir de nous aider, vraiment ceux là, ce sont de vrais amis. Je leur ai écrit ce matin. Je pense à une chose as-tu fait visiter les poumons à Raymonde en radiographie. Tu n'en parles pas j'espère qu'elle n'a rien de ce côté. Ne te déplace pas pour venir me voir avant juillet. Certes je serai très heureux de te voir avant cette date et je vais compter les jours d'ici là, mais il faut se faire une idée, ce serait de la fatigue pour toi. J'aime mieux que tu vienne le 14 et t'avoir tout à moi pendant deux jours, nous en reparlerons.

Ce que je n'aurai pas de trops, ce sont des chemises propres, car ici il faut être bien habillé surtout à table, n'ayant pas de sac à linge, Marie va sans doute me les envoyer ces jours-ci, je ne pourrai me faire laver cette semaine car c'est demain qu'on enlève le linge sale, aussi j'en suis à ma deuxième chemise et je ne sais si la troisième suffira pour attendre le linge propre.

Il en est de même pour les cols, je n'en aurais pas de trop, surtout que les blancs sont très salissant et ne font que deux jours. Si j'avais su nous n'aurions acheté que des cols de couleur comme ceux de ma chemise. Ceux ci  vont d'abord bien mieux.

J'avais pensé en te voyant parler de colis que tu aurais pu faire arranger tout de suite la chemise que tu parlais avec un devant et des poignets en couleur mais surtout ne fais pas ceux ci trop longs, c'est trop bête. Par la même occasion tu aurais pu me mettre deux autres colle de couleur, du 37, quelques aiguilles, du fil et un dé.

Tu me ferait plaisir également en y mettant tes vieux petits ciseaux à broder, je n'ai rien pour me couper les ongles et il me serait très utile. Tu ferais un colis du tout que tu pourrais m'envoyer dès que tu pourrais.

Comme j'ai encore un peu de place je vais parler un peu à ma gentille petite belle-sœur: 

Je te dois d'abord un merci pour ta carte, j'espère que vous avez fait une excellente tournée. Je te remercie également de tes bonnes intuitions au sujet de berlingot et d'une certaine brioche à moitié moisie.Je reconnais bien là ton bon cœur. J'espère qu'en récompense ce cœur si excellent trouvera un autre cœur qu'il soit assez courageux pour n'en faire qu'un seul cœur, qu'une seule et même chair. C'est du moins ce qu'on nous dit dans l'Évangile. Alors porte-toi bien en attendant cet heureux jour, je pense quelquefois à toi. Bons baisers de ton petit frangin Raymond.


Ma chérie, je termine ce soir car il est déjà tard. Je te redirai demain le résultat de la radio. Fais comme bon te semble, comme tu feras ce sera bien. Tu peux prendre 20 Fr. maintenant pour les enterrements ce n'est pas trop! 

A demain ma chérie, ma chère petite femme, tout ce que j'ai de plus cher et bon courage, longs baisers. Raymond.


  


Couéron le...


Mon cher petit Raymond.

J'ai reçu ta lettre de dimanche hier au soir. Je trouve très drôle que tu n'en avais pas de moi dimanche car j'en avais fait partir le vendredi soir, tous les deux jours je t'en envoie une, à part quelquefois que le soir il est trop tard, je la fais partir au courrier du lendemain matin, comme celle-ci par exemple, il était 11 heures hier soir quand j'étais prête à écrire alors je me suis dit : « si Raymonde était là, il me dirait va te coucher! » Alors j'ai remis cela à ce matin. Ainsi que je te l'ai dit dimanche nous sommes en grand nettoyage. Les maçons sont venus blanchir hier, mais maintenant, il y a de quoi s'amuser. Aussi je ne vais pas te donner grande explication ce matin, le commerce va beaucoup moins fort, mais malgré cela nous ne manquons pas de travail car les roulages et les vignes occupent beaucoup. J'ai su que la livre était à 103 Fr. mais je n'ai reçu aucune circulaire. J'ai commandé ce matin un wagon au blanchit et l'autre chez le borgne au vu de la paye de la semaine prochaine. Le bois à Monsieur Bardy est rentré, il est très beau, comment opéres tu  pour ton paiement? 

J'ai reçu aussi un wagon de bois très beau de chez Monsieur bernard, comment faut-il faire pour les bûches qu'il n'a pas encore mis, je t'ai déjà demandé cela sur une de tes dernières lettres. C'est 80 Fr. le cent que tu le payes ton fagot? Avec tout ce bois je n'aurai sûrement pas assez pour mon échéance. 

Je croyais t'avoir déjà dit que j'avais reçu la photographie de la radio à mon monde, je te l'enverrai quand elle sera plâtré. Je crois que ce sera pour la semaine prochaine, nous attendons la réponse du "traiteur", j'en suis un peu malade quand j'y pense, mais enfin il faut avoir du courage.

Ta température ne baisse pas vite au contraire, cela m'ennuie un peu. Qu'est-ce que le médecin dit de cette température là. Mais enfin il ne craint pas, et ne doute pas que tu es guérissable, c'est l'essentiel. Il dit que ça sera long, combien de temps veux-t'il dire par-là ? J'espère  cependant qu'après l'hiver tu pourras sans danger venir te soigner à la maison.

Je termine pour ce matin car voilà Madeleine arrivée, elle va l'emporter, je t'écris plus longuement demain. 

Ta petite femme qui t'aime à la folie et t'embrasse de tout son cœur. 

Bon courage, à demain, Cisine! 



 PS: Mon prochain travail sera de vous aider à situer le lieu, le temps, l'action de cette histoire, et pour cela j'aurai la chance de bénéficier d'une aide inespérée, l'inventaire complet de ses biens réalisée au décès de mon jeune grand-père en novembre 1925! 

Henri Dumoulin.

vendredi 20 octobre 2023

Courrier du premier juin 1925

 





Buzenval le 31 mai 1925


Ma chère petite Célestine


Je dispose, avant le déjeuner d'une bonne demi-heure, et je vais la passer avec toi, du moins en aurai je  un peu l'illusion.

Aujourd'hui dimanche ça va mieux qu'hier, le cafard ne dure pas toujours heureusement. Je pensais aller à la messe ce matin, puis après réflexion, je ne suis pas allé. D'abord mes souliers étaient plein de terre jaune, n'ayant ni brosse ni cirage, j'ai essayé de les nettoyer avec un chiffon, mais je n'ai pu y réussir. Ensuite je fais encore de la température, c'est la conséquence de la fatigue de ces jours-ci, on me dit de ne pas m'inquiéter à ce sujet, que cela peut durer ainsi pendant huit jours. Jeudi soir je ne l'ai pas prise, vendredi j'avais 38,3et hier soir 38,1.

Ce qui me fait plaisir, c'est que je mange bien, je ne sais si c'est le changement d'air mais tout ce que je demande c'est que cela continue, et je suppose que j'aurais pris du poids d'ici peu de temps.

Nous sommes en tout ici 36 malades, mais sur ces 36, il y en a la moitié qui reste à la chambre ; on n'y trouve de tout, des femmes jeunes, âgées ( il y en a une qui a près de 60 ans), des jeunes filles, et… des hommes aussi heureusement. Mes deux voisins de cure sont des femmes d'environ 35 ans et Mariées, par conséquent, tranquillises toi. Nous commençons la cure dès le matin sous une galerie comme celle que l'on voit sur l'album de la motte Beyron.

Il ne fait pas chaud le matin, et je n'ai pas trop d'une couverture,  aussi j'écris à Marie pour qu'elle m'en procure une autre ainsi que les sacs à linge. Ils s'estampent un peu trop ici, pour ces deux sacs, gros comme deux petits mouchoirs de poche avec une coulisse, ils me demandent 30 Fr.

Si j'avais su ce que je sais, je ne serais pas venu ici, d'abord on n'y voit le médecin que tous les huit jours, et il faut absolument un cas grave pour qu'il vienne dans cet intervalle. Je t'ai dit, je crois, qu'il y avait deux médecins ici : le docteur Poussard et son fils. Le père voit les malades une fois en arrivant et ne s'en occupe pas beaucoup après, c'est son fils qui nous suit.

Pour te donner un exemple de la bonne marche de la maison, je n'ai pu avoir de sucre avant aujourd'hui ( une livre par mois), il m'a fallu emprunter pour ne pas boire le thé ou le café au lait sans sucre. Malgré cela on s'en fait pas trop. Il y en a de plus malades que moi ici entre autres un jeune homme de 21 ans, pris des deux poumons et qui a de l'entérite, on doute fort qu'il s'en tire . Il est plus grand que moi il pèse 46 kg, je ne suis pas encore rendu à ce point. 

On soigne beaucoup par piqûre ici. Celles-ci sont faites par une infirmière. Il n'y a pas de sœur dans l'établissement, les chambres sont faites par des jeunes filles. Tout cela revient fort cher car il faut donner à la fin du mois des pourboires à tout le monde, tout cela pour être très mal servi, puisque j'ai été  obligé de vider ma malle et de plier mon linge dans les placards tout seul, ainsi que pour mes effets d'ailleurs, aussi je trouve cela un peu raide, de payer des prix pareils, et de donner des pourboires par-dessus le marché. J'ai payé ma première quinzaine, j'aurais grandement de quoi pour payer la prochaine, mais je n'aurais pas assez pour payer l'autre. Je t'avertirai à temps, et je ne sais trop comment je ferai à ce sujet car il n'y a pas de poste ici, c'est le facteur qui fait le service et il ne rembourse certainement pas les mandats.

Buzenval se trouve à 3 km de Rueil et à 2,05 km 500 de Saint Claude. Il n'y a aucune communication pour aller de l'un à l'autre de ces endroits sauf le dimanche, il y a un service d'autobus à partir de deux heures après-midi jusqu'à six ou sept heures. Autrement il y a des autos à Rueil et à Saint Claude, en somme pas de facilité pour venir, c'est assez embêtant, car nous sommes très libres et nous pouvons recevoir tous les jours le matin après neuf heures et le soir après trois heures. Il y a deux hôtels à Buzenval et je crois que tu pourrais y coucher, car ici il n'y a aucune chambre disponible.

Maintenant ma chérie parlons un peu de toi je vois avec plaisir que tu as l'air de prendre ( ....les choses en main...pas retrouvé la feuille supplémentaire..) 



Couéron le 1 juin 1925


Bien cher petit Raymond.

J'ai reçu ta carte ce matin, je ne peux pas te dire qu'elle m'a fait plaisir, car j'ai été beaucoup chagrin de penser, que tu te faisais de la peine. Songe donc, mon petit lapin, que si tu as le cafard, que si cela te donne mal à la tête et par conséquent de la fièvre, les docteurs du sanatorium ne voudront pas te garder car tous les traitements qu'il te feront ne serviront à rien et si cela arrivait, qu'est-ce qu'on fera après. J'aurais beaucoup préféré que tu te serais lamenté quand Monsieur Desclot nous avait averti qu'il fallait que tu partais et que maintenant tu serais résigné. En ce moment-là, te souviens-tu, c'était moi qui faisait la sotte, qui avait du chagrin, et alors tu me grondais : « tais-toi me disait-tu, vas t'en, tu me rends malade et me donne la fièvre, tu n'es pas raisonnable. Eh bien fais toi cette réponse à toi-même aujourd'hui et prends courage ! Je comprends bien que cela est très dur de tout quitter son foyer et sa famille, mais dis-toi donc bien que si le docteur t'a envoyé là c'est parce qu'il y a guérison pour toi. Donc ne va pas, par ta faute te détourner du bon chemin. Mr Moulinas me parlait l'autre jour de la belle-sœur à Mérieux qu'il croyait lui aussi faire traiter par le pneumothorax ( les insufflations), à près relevé de ses couches, mais il a dit que quand même elle est revenu le voir après son accouchement, il s'est aperçu que ce serait inutile, qu'elle était perdu, donc une preuve qu'ils ne font pas faire de frais quand ils jugent que cela ne servira à rien. 

Si par bonheur le bon Dieu après toutes nos épreuves nous accorde la grâce d'être tous ensemble, remercions-le d'avance et travaillons pour que cela arrive.

Est-ce que tu es inquiet de quelque chose ? Le commerce ne va pas mal, Bageot nous es bien dévoué, sois en sûr, il dirige son travail à l'avance, tous les soirs il vient me dire:  demain on fera cela, après-demain il y aura cela à faire. Ce matin Fuselle n'a pas voulu travailler car il avait sa famille, mais Bageot a fait la route de Nantes et Pontgibaut. Il a fait deux tours, on a vendu 35 sacs. Henri ( ps: très certainement Henri Dumoulin) a aidé à Jules à déménager ses bûches qu'il avait dans son grenier, comme André n'était pas venu, qu'il n'était pas trop pressé, j'avais dit à Bageot de l'envoyer, car il voulait faire cela avec la charrette à bras, ça aurait duré toute la journée. Tantôt Bageot  va avec la voiture au "chêne creux"  voir une vente qui a lieu chez la mère à Madame Auffray le boulanger, il y aurait paraît-il un certain lot de bûche, si c'est du bon bois et qu'il ne monte pas trop cher peut-être va-t-il en acheter. Il va avec le père Mercier de chez Mr Chassé, ils sont à atteler.

Et c'est peut-être Monmonde qui t'inquiète. Tranquillises toi elle n'est nullement en danger. Le radiographe l'autre jour me disait : « c'est un très gros ennui pour vous, mais ce n'est pas grave, car ses os ne sont pas malades, ils sont très sain ». Je crois que ce serait plutôt un peu héréditaire car ta cousine, Marie Doucet, c'est cela qu'elle a et n'a que 25 à 30 ans et ne peut plus faire de longues routes car elle fatigue beaucoup ; Madame Porchay me disait ce matin qu'à Nantes il y a trois petits cousins comme cela, et un de ses enfants a été plâtré, la maman en est très contente ; Madame Barbier de la verrerie, ainsi que j'ai déjà dû te le dire, l'a fait l'année dernière pour son petit garçon, elle en est contente elle aussi. Tu vois donc que cela est à faire, mais ne met nullement ses jours en danger. 

Parles-en si tu veux aux médecins du sana, je crois que les docteurs appellent cela une luxation congénitale, c'est-à-dire que la hanche n'est pas placé dans la cavité voulue.

Pour moi je me porte bien, la petite Marie aussi, tu n'as donc rien qui puisse t'inquiéter outre mesure, si de ton côté les docteurs ne te trouve pas mal. Prends donc sur toi et ne te fais pas de chagrin inutilement surtout que cela va te faire du mal. Mais surtout ne te fais pas de la peine sans me le dire, si je savais cela je deviendrais folle, je serai trois fois plus en peine. Veux-tu que je vais te voir avant juillet ; si oui j'irai, c'est dimanche aussi avant de faire traiter Monmonde, je pourrais peut-être partir la nuit et revenir de même. Je ferai pour toi tout ce qui me sera possible! 


Ce matin en passant devant l'église avec Monmonde je l'ai fait rentrer, elle a fait sa prière toute seule : mon petit Jésus guérissez mon papa, Jésus pour mon petit papa et tout cela à haute voix heureusement qu'il n'y avait que deux ou trois personnes, elle voulait donner des sous, et comme je venais de recevoir ta carte qui ne me donnait pas de bonnes nouvelles, je lui ai fait mettre deux Francs aux âmes du purgatoire en lui disant de dire que c'était pour son papa, ce qu'elle s'est empressé de faire en les mettant dans le tronc. Ici on ne vit qu'en parlant de toi continuellement, tu n'es pas oublié sois en sûre. Marie est parti pour la journée chez Tante Lulu, pour le moment Monmonde dors et ensuite sortira avec Madame Porchay, moi je vais faire la liste pour la "cité en bois" pour demain. Dois-je faire le compte à André pour le mois de mai ?

Ce matin j'ai pu avec ta procuration toucher la lettre recommandée, elle concerne la réclamation que l'office du Mans avait fait poursuivre, d'ailleurs je te joins cette lettre à la mienne, je crois qu'il n'y a qu'à laisser tomber, ils ont envoyé aussi l'avertissement que tu avais dû confier  à l'office du Mans. 


C'est tout ce que je vois te dire pour aujourd'hui, je t'écrirai un peu demain, je te gâte pourtant par les écritures, grand gourmand. Allons, au revoir mon chéri, j'espère que le prochain courrier ma portera de meilleures nouvelles. Que cette lettre te porte tout mon cœur et tout mon amour, s'il est possible.

Je te couvre de baisers. Ta Célestine


Demain matin nous ferons un enterrement à la cité, faudra-t-il 

prendre 20 francs.