samedi 21 octobre 2023

2 juin 1925

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Buzenval, le 2 juin 1925


Ma bien chère petite femme

Je crois que j'ai été gâté aujourd'hui, une lettre de toi ce matin, deux autres après-midi, plus une carte de Marie…

Je n'avais pourtant pas l'intention d'écrire aujourd'hui, car c'est demain que je passe à la radio, et je voulais attendre le résultat pour te l'envoyer, mais devant cette abondance je me résigne à prendre la plume ( le méchant vas-tu dire ). Sais tu bien que j'écris tous les jours et que je dispose de peu de temps pour écrire. Pense donc un peu à tous ceux à qui il faut que j'écrive. Bien sûr tu passes la première, tu n'en doute pas j'espère. Tu vas sans doute dire que je blague, quand je dis que je n'ai pas beaucoup de temps pour écrire, ainsi maintenant il est une heure moins le quart à 2h je veux être à la cure pour après avoir le moins de température possible à 6h.

Sois tranquille ma chérie, je ferai tout ce qu'il est nécessaire de faire pour améliorer mon état. Jusqu'ici ne prends pas trop ma lettre au sérieux, j'avais peut-être un peu de cafard, maintenant c'est passé et le moral n'est pas mauvais. Je fais toujours de la température la faute en est au repas de dimanche dont je t'ai parlé. 

Voici d'ailleurs le détail de ce fameux repas : entrée: Radis et crevettes au beurre, ensuite du jambon légèrement fumé, et ma foi excellent ensuite poulet rôti avec salade, avec cela des asperges grosse que mon pouce et je t'assure qu'il y en avait pour deux, après je crois qu'il y avait du fromage frais puis de la crème à la glace, le tout arrosé par le carafon de bière habituel, du Grave, du Pommard, une grande coupe de champagne Mouet et Chandon ; nous avons enfin terminé par un excellent café. 

Résultat nous sommes sortis de table à 2h30, la cure en a été grevé de tout ce temps, finalement à 6h  ( dois-je te le dire ? ) j'avais 39, 4, tu penses si je sauté, le soir je n'ai presque pas mangé ; j'ai terminé ta lettre que j'avais commencé et je me suis mis au lit ; j'ai repris ma température, j'avais 38°. Elle avait déjà bien baissé. Le lendemain matin j'avais 36,7. Hier au soir 38,5, ce matin 36,7 et ce soir j'espère ne pas dépasser 38°. Je vais d'ailleurs te le dire tout à l'heure car il est cinq heures et je m'arrête là.

Me voici revenu j'avais ce soir comme température 38,3. Ça ne baisse pas vite, mais ça baisse tout même, et puis la digestion se fait toujours mal, aussi j'en parlerai à la prochaine visite de docteur, mais surtout ne t'inquiète pas outre mesure, je crois t'avoir dit que les deux docteurs m'avait vu samedi dernier et m'ont trouvé les poumons congestionnés par le voyage sans doute, et ils vont certainement me laisser en observation d'ici un moment. Parlons un peu de Couéron, c'est-à-dire de vous. J'espère d'abord ma petite chérie que tu es remise de tes maux de dents et qu'on n'en parle plus ; j'ai bien peur que cela te donne beaucoup de travail et que ta santé en soit chamboulé. Ménage toi surtout pense que tu as deux petits-enfants qui ne demande qu'à vivre et un petit mari qui t'aimes peut-être un peu trop car ça ne serait pas si dur d'être au loin si on s'aimaient pas autant. Ne nous frappons pas, les mauvais jours passeront eux aussi et nous aurons encore, j'espère si Dieu le veut, le bonheur de vivre ensemble. Je vois d'abord que Raymonde est toujours aussi gaie.Tant mieux, tu me demandes mon avis au sujet de son opération. Je suis d'avis de faire cela au plus vite, c'est-à-dire quand le spécialiste te le dira. Tout cela évidemment occasionne des frais, mais, a Dieu va ! 

Tu as pris une bonne résolution en envoyant Marie chez Lucile. Tu auras ainsi plus de temps à donner à Raymonde, et je vois qu'on t'aidera. Malgré cela si tu pouvais habituer Raymonde à prendre un peu son mal en patience, de manière à n'être pas toujours prés d'elle, ce serait beaucoup mieux. Il faudra justement que j'écrive demain chez Lucile pour les remercier de ce qu'ils font. Mais je vois une chose c'est que tante Bretécher n'a pas l'air de beaucoup se déboutonner. Il faut que ce soit des étrangers comme Michel Baranger qui viennent spontanément nous offrir de nous aider, vraiment ceux là, ce sont de vrais amis. Je leur ai écrit ce matin. Je pense à une chose as-tu fait visiter les poumons à Raymonde en radiographie. Tu n'en parles pas j'espère qu'elle n'a rien de ce côté. Ne te déplace pas pour venir me voir avant juillet. Certes je serai très heureux de te voir avant cette date et je vais compter les jours d'ici là, mais il faut se faire une idée, ce serait de la fatigue pour toi. J'aime mieux que tu vienne le 14 et t'avoir tout à moi pendant deux jours, nous en reparlerons.

Ce que je n'aurai pas de trops, ce sont des chemises propres, car ici il faut être bien habillé surtout à table, n'ayant pas de sac à linge, Marie va sans doute me les envoyer ces jours-ci, je ne pourrai me faire laver cette semaine car c'est demain qu'on enlève le linge sale, aussi j'en suis à ma deuxième chemise et je ne sais si la troisième suffira pour attendre le linge propre.

Il en est de même pour les cols, je n'en aurais pas de trop, surtout que les blancs sont très salissant et ne font que deux jours. Si j'avais su nous n'aurions acheté que des cols de couleur comme ceux de ma chemise. Ceux ci  vont d'abord bien mieux.

J'avais pensé en te voyant parler de colis que tu aurais pu faire arranger tout de suite la chemise que tu parlais avec un devant et des poignets en couleur mais surtout ne fais pas ceux ci trop longs, c'est trop bête. Par la même occasion tu aurais pu me mettre deux autres colle de couleur, du 37, quelques aiguilles, du fil et un dé.

Tu me ferait plaisir également en y mettant tes vieux petits ciseaux à broder, je n'ai rien pour me couper les ongles et il me serait très utile. Tu ferais un colis du tout que tu pourrais m'envoyer dès que tu pourrais.

Comme j'ai encore un peu de place je vais parler un peu à ma gentille petite belle-sœur: 

Je te dois d'abord un merci pour ta carte, j'espère que vous avez fait une excellente tournée. Je te remercie également de tes bonnes intuitions au sujet de berlingot et d'une certaine brioche à moitié moisie.Je reconnais bien là ton bon cœur. J'espère qu'en récompense ce cœur si excellent trouvera un autre cœur qu'il soit assez courageux pour n'en faire qu'un seul cœur, qu'une seule et même chair. C'est du moins ce qu'on nous dit dans l'Évangile. Alors porte-toi bien en attendant cet heureux jour, je pense quelquefois à toi. Bons baisers de ton petit frangin Raymond.


Ma chérie, je termine ce soir car il est déjà tard. Je te redirai demain le résultat de la radio. Fais comme bon te semble, comme tu feras ce sera bien. Tu peux prendre 20 Fr. maintenant pour les enterrements ce n'est pas trop! 

A demain ma chérie, ma chère petite femme, tout ce que j'ai de plus cher et bon courage, longs baisers. Raymond.


  


Couéron le...


Mon cher petit Raymond.

J'ai reçu ta lettre de dimanche hier au soir. Je trouve très drôle que tu n'en avais pas de moi dimanche car j'en avais fait partir le vendredi soir, tous les deux jours je t'en envoie une, à part quelquefois que le soir il est trop tard, je la fais partir au courrier du lendemain matin, comme celle-ci par exemple, il était 11 heures hier soir quand j'étais prête à écrire alors je me suis dit : « si Raymonde était là, il me dirait va te coucher! » Alors j'ai remis cela à ce matin. Ainsi que je te l'ai dit dimanche nous sommes en grand nettoyage. Les maçons sont venus blanchir hier, mais maintenant, il y a de quoi s'amuser. Aussi je ne vais pas te donner grande explication ce matin, le commerce va beaucoup moins fort, mais malgré cela nous ne manquons pas de travail car les roulages et les vignes occupent beaucoup. J'ai su que la livre était à 103 Fr. mais je n'ai reçu aucune circulaire. J'ai commandé ce matin un wagon au blanchit et l'autre chez le borgne au vu de la paye de la semaine prochaine. Le bois à Monsieur Bardy est rentré, il est très beau, comment opéres tu  pour ton paiement? 

J'ai reçu aussi un wagon de bois très beau de chez Monsieur bernard, comment faut-il faire pour les bûches qu'il n'a pas encore mis, je t'ai déjà demandé cela sur une de tes dernières lettres. C'est 80 Fr. le cent que tu le payes ton fagot? Avec tout ce bois je n'aurai sûrement pas assez pour mon échéance. 

Je croyais t'avoir déjà dit que j'avais reçu la photographie de la radio à mon monde, je te l'enverrai quand elle sera plâtré. Je crois que ce sera pour la semaine prochaine, nous attendons la réponse du "traiteur", j'en suis un peu malade quand j'y pense, mais enfin il faut avoir du courage.

Ta température ne baisse pas vite au contraire, cela m'ennuie un peu. Qu'est-ce que le médecin dit de cette température là. Mais enfin il ne craint pas, et ne doute pas que tu es guérissable, c'est l'essentiel. Il dit que ça sera long, combien de temps veux-t'il dire par-là ? J'espère  cependant qu'après l'hiver tu pourras sans danger venir te soigner à la maison.

Je termine pour ce matin car voilà Madeleine arrivée, elle va l'emporter, je t'écris plus longuement demain. 

Ta petite femme qui t'aime à la folie et t'embrasse de tout son cœur. 

Bon courage, à demain, Cisine! 



 PS: Mon prochain travail sera de vous aider à situer le lieu, le temps, l'action de cette histoire, et pour cela j'aurai la chance de bénéficier d'une aide inespérée, l'inventaire complet de ses biens réalisée au décès de mon jeune grand-père en novembre 1925! 

Henri Dumoulin.

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