mercredi 7 avril 2021

L'aube des Gueules noires





Il y a quelques temps déjà, j'ai extrait du fouillis incroyable qui régnait, après plus de cinquante années d'accumulation de " ce qui pouvait toujours être utile, un jour...", dans le grenier de la maison de mon beau père, Francis Fortumeau, en route vers ses 101 ans, une vieille caisse en bois incrustée de poussière. j'y ai trouvé quantité de ces "livres de prix" à couverture rouge, de ceux que l'on remettait aux élèves méritant en fin d'année scolaire. Et, en effet, le 20 juillet 1930, un petite garçon qui n'a pas encore dix ans, Francis Fortumeau, deuxième classe, première division, deuxième section,  se voit remettre, à l'école St Joseph de Rezé, un prix pour ses bons résultats en orthographe, analyse grammaticale et géographie!


Des récits rassemblés sous le titre pompeux " Les chevaliers de l'hostie" ! J'ai commencé à lire et j'y est trouvé des témoignages émouvant d'une tranche de notre histoire commune. L'action se passe en 1886, surtout en Wallonie, dans la grande saignée du bassin houiller qui commence à l'ouest au delà de Bruays en Artois à Estrée Cauchy, pour se terminer dans la Ruhr allemande !

1886 Grèves en Belgique




En 1842, quarante quatre ans avant ces événements tragiques,  Victor Hugo avait traversé cette région où naissait une nouvelle société, où se réalisait la grande mutation, la révolution industrielle ! 

"Cependant le soir vient, le vent tombe, les prés, les buissons et les arbres se taisent, on n’entend plus que le bruit de l’eau. L’intérieur des maisons s’éclaire vaguement ; les objets s’effacent comme dans une fumée ; les voyageurs bâillent à qui mieux mieux dans la voiture en disant : Nous serons à Liège dans une heure. C’est dans ce moment-là que le paysage prend tout à coup un aspect extraordinaire. Là-bas, dans les futaies, au pied des collines brunes et velues de l’occident, deux rondes prunelles de feu éclatent et resplendissent comme des yeux de tigre. Ici, au bord de la route, voici un effrayant chandelier de quatre-vingts pieds de haut qui flambe dans le paysage et qui jette sur les rochers, les forêts et les ravins, des réverbérations sinistres. Plus loin, à l’entrée de cette vallée enfouie dans l’ombre, il y a une gueule pleine de braise qui s’ouvre et se ferme brusquement et d’où sort par instants avec d’affreux hoquets une langue de flamme.

Ce sont les usines qui s’allument ! 

Quand on a passé le lieu appelé la Petite-Flemalle, la chose devient inexprimable et vraiment magnifique. Toute la vallée semble trouée de cratères en éruption. Quelques-uns dégorgent derrière les taillis des tourbillons de vapeur écarlate étoilée d’étincelles ; d’autres dessinent lugubrement sur un fond rouge la noire silhouette des villages ; ailleurs les flammes apparaissent à travers les crevasses d’un groupe d’édifices. On croirait qu’une armée ennemie vient de traverser le pays, et que vingt bourgs mis à sac vous offrent à la fois dans cette nuit ténébreuse tous les aspects et toutes les phases de l’incendie, ceux-là embrasés, ceux-ci fumants, les autres flamboyants.

Ce spectacle de guerre est donné par la paix ; cette copie effroyable de la dévastation est faite par l’industrie. Vous avez tout simplement là sous les yeux les hauts fourneaux de M. Cockerill. »

 

Victor Hugo , impression de voyage en 1842 aux alentour de liège en Wallonie 

On trouve dans ces récits la même atmosphère poignante, oppressante, qui avait saisi Victor Hugo lors de son voyage de 1842: