jeudi 30 novembre 2023

Ontogénèse, phylogénese




Ontogenèse et Phylogenèse 


J'ai enfin sorti de sa boîte où elle reposait précieusement depuis un siècle la correspondance, pendant quelques mois, de mon grand-père et de ma grand-mère maternelle.

Ceci m'a donné l'occasion de me pencher sur des arbres généalogiques. J'ai bien dit me pencher car, logiquement, par rapport à moi, prenant conscience de ma situation ici et maintenant, cet arbre devrait être à l'envers! 

Je suis, du point de vue phylogénétique, le résultat d'un brassage génétique réalisé depuis la nuit des temps par la longue file de mes aïeux selon une suite mathématique bien précise: 

1,2,4,8,16,32,64,128,256,512,1024.....onze générations qui m'amènent aux années ...1400, plus ou moins selon la durée de vie de chacun de mes ancêtres  ?

 Peu importe, tout ça n'est pas bien loin dans le temps , ce n'est pas une suite de Fibonaci, certes, mais je suis déjà, à ce stade, le "produit d'un brassage génétique" de plus de mille personnes! Imaginez le résultat sur 1000 ans, 100000 ans....je suis donc le produit d'un échantillonnage colossal.


Comme dormait Jacob, comme dormait Judith,
Booz, les yeux fermés, gisait sous la feuillée ;
Or, la porte du ciel s'étant entre-bâillée
Au-dessus de sa tête, un songe en descendit.

Et ce songe était tel, que Booz vit un chêne
Qui, sorti de son ventre, allait jusqu'au ciel bleu ;
Une race y montait comme une longue chaîne ;
Un roi chantait en bas, en haut mourait un dieu.




En réalité cette prise de conscience va beaucoup plus loin dans l'histoire de la vie. Au tout début de mes études de médecine nous avions eu un cours d' embryologie comparée qui m'avait fasciné.

On y découvrais que lors des premiers stades de développement de l'embryon humain, celui-ci, du point de vue morphologique, refaisait  le chemin accompli par les espèces animales qui nous ont précédés, au moins pendant les premières semaines. 

On disait que l'embryogénèse (humaine) refait la phylogenèse....pour aller au delà! 

C'est dans l'œuvre du naturaliste Carl Friedrich Kielmeyer que l'on trouve la première formulation de la théorie de la récapitulation,

tout à la fin du XVIIIe siècle et au début du siècle suivant. Kielmeyer s'était aperçu très tôt de l'existence de certaines similitudes entre les premiers moments du développement ontogénétique humain (développement de l'embryon) et la série phylogénétique des espèces animales. D'après lui, les êtres vivants n'étant que des arrêts successifs d'une même activité, les plus élevés d'entre eux devaient traverser dans leur propre croissance les formes auxquelles s'arrêtaient les plus simples[1]. Il considérait en particulier que les grenouilles passaient par un véritable stade poisson dans leur jeunesse et que les mammifères avaient d'abord une circulation de reptiles.


Bon, la nature se moque des théories, elle a toujours tout "essayé" et ce n'est pas si simple que le croyait Kielmeyer, le regretté Hubert Reeves savait dire avec sagesse :" Patience dans l'azur, il y a bien de choses qui échappent à l'entendement humain"


          

Mathieu d'Arras 




mercredi 29 novembre 2023

Buzenval 29 juin, le collier de Fleurette

 Buzenval 29 juin 1925


Ma chère petite Cisine.

J'ai reçu ta lettre ce matin et je m'empresse d'y répondre.

Tu sais, tu es une petite cachottière, tu m'avais bien dit que tu avais fait photographier les deux petites, mais tu t'étais bien gardé de me dire que tu t'étais fait prendre avec elle. Je crois que pour une surprise, c'est une heureuse surprise, et tu ne pouvais me faire plus de plaisir ; vraiment ce matin lorsque je l'ai reçu, j'en aurais pleuré de joie, si j'avais été seul. C'est si bien toi, ma chère Cisine, un peu sérieuse peut-être, ainsi que ma chère petite Raymonde qui n'a pas daigné sourire, il n'en est pas de même de son petit lutin de sœur qui ne s'en prive pas, elle est souriante.

Enfin merci encore de cette bonne surprise que je n'attendais pas.



Maintenant parlons un peu du motif qui me fait écrire  ce soir, c'est-à-dire de Fleurette, tu me dis que son collier l'a blessé et qu'elle a arrêté plusieurs fois. ( prénom illisible) a complètement démonté ce collier au début lorsque Fleurette est arrivée. Je trouve donc drôle qu'il ne s'aperçoit que maintenant que ce collier ne peut aller. Il ne me demande qu'une chose, c'est de travailler et de prendre du neuf. Je ne suis pas de cet avis. Je crois plutôt que la bête est rétive et que l'on ne fera rien, même avec un autre collier. Nous en avons déjà trois en comptant celui de la voiture et dont un, celui à Raspagne, est tout neuf. Si il y a des dépenses à faire, j'aimerais mieux qu'elle se trouve prise dans la vente de la jument, car il est plus que probable que nous en trouverons pas 5000 Fr..

Par conséquent voilà ce que je pense, tâche de trouver un collier qui lui aille provisoirement et lui permette de guérir d'ici la prochaine foire. Se renseigner auprès de Babin du jour de cette foire, cinq ou six jours avant la foire, téléphoner à Monsieur Leroux près de la gare de Vertou, dont tu trouveras le numéro de téléphone sur le bottin chez Monsieur Chasse, lui demander s'il peut te fournir un cheval ou jument de cinq à sept ans pouvant mener partout des tombereau de sable, et dans combien de temps il compterait te livrer ça. Tu pourrais aller avec Bageot à la foire et ensuite chez Monsieur Leroux avec Bageot, bien entendu quand celui-ci aura trouvé.

Tu vas peut-être trouver le moyen un peu radical, mais je suis sûre que Bageot sera de mon avis à ce sujet, car c'est dans son caractère, et elle recommencera toujours.


Du côté de la Feuillardais, je ne crois pas qu'il y ait quelque chose à faire, ou bien il faudrait peut-être aller en justice sans être sûr de gagner. Le fagot de la Sarthe revient à 15 Fr. par 100 de meilleur marché que celui du pèlerin. Mais s'il est moins bon il vaut peut-être mieux prendre les 500 du Pélerin, cela fera je pense assez pour l'année, environ 1060. Cela te fera encore une jolie somme à donner à Monsieur Bardy :1500 Fr. pour les 600 du pèlerin et 783,70 pour ceux de la Sarthe, car je crois que c'est 170 Fr. le cent qu'il nous les a vendu. La lettre doit être du reste dans le porte lettre.


 


Il y aura à déduire le transport de ses perches 28 Fr., et pour le chemin de fer, ce que vous avez passé de temps pour les amener. Tu n'auras qu'à compter cela à l'heure plus Ordronneau. Si les pêcheurs te demandent à les  charger, il faudra leur demander qu'est-ce qui paiera eux ou Monsieur Bardy.

Je crois que le commerce marche bien et que tu as commencé à remettre dans la réserve. Si André te paye au début du mois cela te fera aussi un sérieux apport, et te permettra peut-être de finir de boucher le trou. As-tu parlé à tonton de ses intérêts ? 

Raymonde s'ennuie parfois, ce n'est pas drôle hélas, ce sera de la peine pour toi de plus ; ce qui me fait plaisir, c'est qu'elle ne m'oublie pas, voilà pourtant déjà un mois que je suis parti. Cela passe et cependant… ( je ne retrouve pas la suite) 

mardi 28 novembre 2023

Couëron, le 30 juin, chaleur d'été

 





Couëron le 30 juin 1925

Chaleur d'été 

Mon cher petit lapin


Je vais d'abord commencer par te dire que je viens de dormir, il fait tellement chaud, que je suis prise de l'envie de dormir sitôt après avoir mangé, hier je l'ai combattue toute l'après-midi, mais aujourd'hui j'ai été me coucher un peu et cela m'a fait du bien. J'ai reçu ta lettre de dimanche ce matin, tu ne me dis pas le résultat de la visite du docteur de vendredi, ce serait-il qu'elle ne t'aurais pas satisfait, ou as-tu oublié, j'espère que cette fois tu n'as pas attrapé froid. Tu me dis que tu crains que la constipation te donne de la fièvre, cela se pourrait très bien, aussi je me suis empressé d'aller acheter ce matin une boîte de Fructine qui a bien guéri la petite Marie de sa constipation, et Marie qui était comme tu le sais très sujette à cela, en prends depuis qu'elle est à la maison et cela lui fait beaucoup de bien ; tu n'auras qu'à en prendre une pour commencer, puis si cela te fait trop aller tu n'en prendras ensuite qu'une demie, tu peux toujours en prendre une entière le premier jour, cela te nettoieras, cela se fera à n'importe quel moment de la journée. Il ne faut rien négliger pour la faire baisser cette maudite fièvre.

Ainsi que je l'ai dit à Joseph, je partirai le samedi 11 par l'express de midi, et je rentrerai quand je pourrai, avant toutefois la paye de Basse-Indre du 17, ça va te faire plaisir comme cela j'espère. Madame Porchet restera à la maison, et elle y couchera avec son mari qui de cette façon veillera aux chevaux le soir. Marie s'occupera des comptes aussi bien que moi. 


Tante Gourby me demandait si j'allais aller voir Tante Marie ( épouse de Joseph Gourby à Paris rue Montparnasse), je lui ai dit que je n'en savais rien, d'ailleurs que pour cela il faudrait que José viennes avec moi, elle m'a répondu que Joseph ne me mènera pas si je ne lui demande pas car il avait l'air en froid avec elle. Comment faudra-t-il faire ? Elle prétend qu'elle serait heureuse de me connaître. Tu as bien fait d'inviter Joseph à venir  avec moi à Rueil, dans ce cas je prendrai la messe à Paris.


Je pensais t'écrire hier au soir mais nous avons monté chez nous et après il était trop tard ; mais je ne crois pas que ça retarde beaucoup les lettres de les envoyer au courrier du soir au lieu qu'à celui du matin. Le commerce marche comme si comme ça, les roulages donnent beaucoup, les chevaux n'arrêtent jamais, nous ne savons même pas comment nous retourner.

J'attends la réponse pour fleurette, en attendant Bageot l'a prise, lui a desserré son collier je ne sais trop où et il a dit qu'il ne blesse pas la sienne, il veut dit-il apprendre un peu à la connaître mais ne veut pas la changer. 

Bageot c'est le garçon rêvé tu sais, Mercier est un bon garçon aussi, Fuselle et toujours un peu le même, autoritaire et un peu " roulier" envers les bêtes, enfin je tâche de faire aller le mieux que je peux. Bageot  va sans doute venir demeurer à la fin de juillet dans la maison au père Voleau, la mère Voleau est morte et son bonhomme s'en va à Paris, il serait de cette façon pas loin de chez nous. 

Je ferai mon inventaire demain, avec l'argent à André je vais boucler largement ce mois-ci, mais devons toujours 2000 Fr. à la réserve, j'essaierai de les remettre le mois prochain, car je n'aurai que 2400 Fr. environ à donner à chaque échéance. J'ai reçu samedi une circulaire de chez Leborgne, la gayette a augmenté de 15 Fr. là, la braisette 10 Fr et les boulets 9 Fr, faut-il demander à Denaud s'il veut changer les prix de la gayette? 

Je l'ai vu depuis passer dans la rue, mais il n'a pas essayé d'arrêter. Au commencement du mois prochain j'ai encore 600 Fr. à payer au chiffre d'affaires. Quelle barbe !

Pour tes " Veillées des chaumières" on a pourtant prévenu Henriette, je crois même que Marie lui en a parlé hier au soir ; je te dirai que j'ai tellement de choses à penser que c'est Marie qui s'occupe de cela, moi je n'en sais rien ; il faut toutefois bien lui donner le temps de les faire revenir car nous l'avions prévenu qu'on ne le prendrait plus. Pour " Le pélerin"  c'est papa qui te le fais parvenir.

Monmonde est toujours à peu près sage, malgré cela il faut toujours quelqu'un à côté d'elle. Elle est à peu près propre le jour, mais la nuit c'est toujours la même chose, nous l'avons garni de toile caoutchouté, car elle ne reste plus sur son rond de caoutchouc, Elle se change bien de place endormant et s'assoit  seule dans son lit. Il n'y a que la poupée à tonton qui compte pour l'amuser, elle l' appelle Madeleine. Avant de s'endormir à midi je l'entendais qui lui disait : "tu vas quitter ton sarreau ( car elle a une robe qui se quitte), et faire dodo à côté de Monmonde!"


Un peu après, j'ai été voir, elle était endormie avec la poupée dans ses bras. Elle connaît beaucoup de chansons et chante très bien, elle cause aussi beaucoup, je crois même que d'être continuellement avec nous cela l'avance énormément car elle est très intelligente. Hier soir Madeleine Guilbaud est venue, personne ne pensait à demander des nouvelles de la petite, alors elle demande tout d'un coup à Madeleine : « Elle est contente ma petite sœur Marie?  » Madeleine lui a dit que oui et lui a demandé si elle était revenu la voir. Non a-t-elle dit, elle n'est pas venue. Elle s'inquiète  beaucoup de sa petite sœur et est très heureuse quand elle la voit alors que"  l'autre" ne veut pas même nous donner le temps de l'embrasser quand elle est dans sa voiture et qu'elle voit quelqu'un avec qui elle veut aller, elle se raidit et se laisse glisser malgré la courroie, quel petit numéro !


C'est tout ce que je vois à te dire, je vais sûrement encore oublier quelque chose, ce sera pour une autre fois. À bientôt de bonnes nouvelles. 

Je t'embrasse très très fort. Ta petite femme qui t'aime à la folie, petit loulou chéri. 

Célestine


Un bonjour à te souhaiter de la part de Paressant qui voudrait bien que tu lui écrirais une carte....



lundi 27 novembre 2023

Les caprices de Fleurette et le petit lutin

 





Couëron le 25 juin 1925.

les caprices de fleurette et le petit lutin.


Mon bien cher petit mari


J'attendais d'avoir une autre lettre de toi ce matin mais je n'ai rien eu, peut-être ce sera pour ce soir. J'aurais été heureuse d'en recevoir une me donnant de meilleures nouvelles, mardi soir je t'ai un peu grondé dans mon mécontentement, mais cela m'a fait du bien de me décharger, si tu savais ce que ça fâche de voir qu'il y a toujours des entraves pour faire baisser la fièvre, il faut faire attention à ne pas attraper froid, Car il n'y a pas de raison que toutes les semaines tu attrapes froid en prenant ta consultation et que toujours cela fait remonter la fièvre de nouveau. Enfin ne revenons pas là dessus et redouble d'attention.

Parlons d'abord de ta Monmonde, elle est toujours très sage elle est maintenant tout comme autrefois, nous l'asseyons dans une chaise longue, elle mange à table en poussant le bout de la chaise sous la table, elle joue très bien, je te dirais bien qu'elle se remue avec ça.

Je t'avais dit je crois qu'elle ne demandait pas à faire pipi ce qui était très embêtant, et bien je l'ai battu 2 fois et je lui ai dit que si elle ne voulait pas demander  je l'enverrai chez Monsieur Moulinas ( le médecin ), et là elle serait bien obligé de demander, depuis hier elle demande même trop souvent maintenant, la plupart du temps pour ne faire qu'une petite goutte. 

Enfin il ne faut pas que je me plaigne car elle est bien mignonne à part hier où Lucie qui avais besoin d'aller à Nantes m'avais amené Marie ( notre maman), je t'assure que c'est un petit lutin et les voisins ont été obligé de venir à mon aide les moments où j'étais seule! 

le temps de mettre Monmonde à faire pipi la petite ( marie) remuait la chaise au point d'en tomber par une fois, heureusement que je me suis trouvé là car elle est revenue sur moi avec la chaise. Raymonde voyant sa sœur marcher ne restait nullement tranquille, il y avait à en perdre la tête, la petite ( marie) ne marche pas tout à fait seul mais il ne s'en fait guère et ne veut faire que ça, ils ont dû l'habituer. Ce qu'il y a d'agréable en elle c'est qu'elle ne fait presque plus dans le lit et dans ses culottes. Je te promets que dans des jours comme hier je me suis dit bien des fois que tu es beaucoup mieux au loin car ce n'est pas une vie de malade, et ce serait dommage d'être mal tombé comme sanatorium d'être obligé de revenir. Tonton et tante sont revenus ce matin et ont apporté une belle poupée qui dort et une voiture pour la rouler, tu vois quelle heureuse ils ont fait.

Pour ce qui est du commerce le travail ne manque pas, mais la "fleurette" nous joue des tours, entre autres ce matin ou elle a refusé de monter une charrette de fagots à deux liens dans la cour, on lui a fait mener à la verrerie et tantôt elle vient d'en monter une avec 10 de plus, au trot, enfin ne t'inquiète pas pour ça et nous verrons ce que nous aurons à faire à ce sujet quand tu seras là. Aubinais ne veut pas qu'on lui fasse sa "mouche" *dans le pré à son à son beau-père, combien faudra-t-il lui prendre de la tonne, 11 Fr. c'est-t-il assez, réponds-moi aussitôt car si il me demande combien il doit, cela va être ennuyeux.

je ne sais pas si tu prends assez pour décharger ton bois, l'autre jour nous avions mis la valeur d'une journée à décharger pour Auffray un wagon de 6 tonnes 80, il faut dire que ce n'était pas avantageux car la "mouche" était tellement haute que henri avait envie de refuser à Auffray de monter dessus. Hier nous avions fait une journée de roulage, elle nous avait rapporté 150 Fr. et Bageot avait le matin fait une vente de 135 Fr. là-dessus, il y avait un homme de journée qui avait aidé le matin pour le bois. Je crois que nous n'avons pas à nous plaindre comme travail, mais c'est l'été le charbon naturellement ne marche pas beaucoup, le wagon de bois de la Sarthe est très bon mais beaucoup plus menu comme triques que les autres, ils en ont trouvé quatre de plus qu'on n'a pas compté.

Dans 15 jours samedi je partirai, Joseph m'a envoyé une feuille me donnant droit à une petite réduction sur les chemin de fer. C'est tout ce que je vois à te dire pour aujourd'hui, soignes-toi donc bien et envoie-moi de bonnes nouvelles. 

Maintenant que je suis rassuré avec Monmonde, toutes les nuits je suis avec toi, aussi il me tarde, mon cher amour d'être rendue au 12 juillet. Ta femme qui t'aimes à la folie, une grosse bise sur ta petite bouche.

Cisine.

  • Expression locale :" faire sa mouche" ....dans le contexte il semble bien s'agir de charger sur une charrette une ( grosse) cargaison de foin ( ce serait alors une sorte de litote)


Buzenval 28 juin 1925

Ma Cicine bien aimée

Je me suis levé ce soir un peu plus vite, à 6h ( du soir) ce qui va me permettre de passer cette heure avec toi.

Tout d'abord je veux te demander pardon de la vivacité avec laquelle je t'ai répondu dans ma dernière lettre. La lettre n'a pas été aussitôt postée que je l'ai regrettée. Tu connais je crois mon caractère, je suis trop vif et j'en ai donné encore la preuve. Nous avons pourtant bien assez de sujets d'ennui comme ça dans notre vie présente, pour que nous nous donnions encore des sujets de chagrin. Donc pardonne-moi ma chère Cicine et ne parlons plus de tout cela. C'est cette maudite fièvre qui est à cause de tout cela. Pourtant je crois qu'elle baisse, sauf aujourd'hui et vendredi, mais je crois comme toujours que la digestion y fait pour beaucoup et surtout la constipation. 

Durant les deux jours dont je te parle, je n'ai pas été aux cabinets de la journée et j'ai toujours remarqué que j'avais davantage de température ces jours là. Hier j'avais seulement 38°. Aussi malgré tout et en conservant l'habitude de me coucher l'après-midi, je garde l'espoir de ne plus dépasser 38° quand tu viendras.

maintenant parlons un peu de ce voyage, sais-tu que c'est dans 15 jours aujourd'hui. J'ai su par Joseph que tu partirai le samedi à midi, mais tu ne lui as pas dit combien tu comptais y rester de temps. Tu avais parlé sur une de tes lettres de ne rester qu'un jour. Je ne t'ai rien dit sur le moment mais j'aime autant que tu ne viennes pas si tu viens pour un jour, car ça n'en vaut pas la peine et ce serait de la fatigue inutile. Aussi j'espère que tu seras raisonnable et que tu sauras t'arranger, soit avec Tante Céleste, soit avec Madame Porchet dans le cas où Marie travaillerait.

Je voudrais bien être rendu à cette date, et pourtant ce que ça va passer vite. 

J'ai reçu la visite de Joseph vendredi, il m'a apporté un vieux parapluie, c'est tout ce qu'il me faut. Nous avons parlé tous les deux de ton arrivée. Comme il est assez gentil pour nous en ce moment, j'ai cru bien faire de l'inviter à venir avec Marie pour t'accompagner ici le dimanche matin, et je l'ai également invité à déjeuner. L'après-midi s'il fait beau nous irons sous les arbres qui ne manque pas à Buzenval, s'il fait vilain je resterai à la chambre. Tu me diras si j'ai fait bien fait de les inviter. Mais ça eu l'air de faire plaisir à Joseph, et ma foi ils ne sont pas regardant pour nous rendre service.

Durant ce temps je demanderai la permission de m'absenter au docteur. De cette façon je serai plus complètement avec toi, car en restant ici je n'aurais pu te voir que quelques heures. Je pense que tu ne verras pas d'inconvénient à cela, et en prenant des précautions j'espère ne pas avoir plus de fièvre.

Ce que je trouve drôle, c'est que me voilà rendu à la fin du mois, et je n'ai encore rien reçu d'Henriette ; est-ce que tu n'aurais pas oublié par hasard de lui dire. Dans ce cas là dis-lui bien qu'elle m'envoie les "Veillées des chaumières" à partir du numéro 63, c'est le dernier que tu m'as envoyé.

Je vois avec plaisir que Raymonde ne te donne pas trop de peine, et que maintenant elle demande à faire ses besoins, de cette façon tu n'auras pas à craindre le ramollissement du plâtre. Mais je crains que sa sœur est un vrai diable, et vraiment tu aurais été bien embêté si tu l'avais gardé. Je crois que tonton et tante se sont, comme on dit, déculottés, pour apporter ainsi une poupée et une voiture. Mais tu ne m'as pas dit comment ils m'avaient trouvé ici.

Je crois que fleurette devient de plus en plus rosse, et que nous serons, à la fin, obligé de nous en débarrasser. C'est assez embêtant, car ça fera encore de la perte.

Tu me qu'Aubinais ne veut plus que l'on "fasse sa mouche" dans le pré au père...( illisible) il change souvent d'avis. Mais comme cela revient à peu près au même pour nous tu n'as qu'à lui prendre 11,50 Fr. de la tonne, en lui disant que nos charges reste à peu près identique, et que nous ne pouvons pas aller aussi vite qu'à son hangar. Tout compte fait je crois quand même que ça peut aller, car ça vient de ce que la mouche est haute, car si je me rappelle le premier wagon, qui était de 8 tonnes, henri l'avait déchargé dans sa journée avec le père.