lundi 20 novembre 2023

16 juin 1925

L

Couéron le 16 juin 1925

Mon cher petit Raymond



Il est 10h30 et je me mets seulement à t'écrire, dire que c'est toujours en me précipitant que je t'écris, voilà pourquoi je n'arrive pas à te renseigner sur tout . Je t'assure que je n'ai guère de temps de libre. Et avec une chaleur comme il fait on n'a guère de courage non plus.

D'abord que je réponde à tout ce que tu me demandes. Comme tu dois le penser le charbon ne va guère, je pourrais même dire pas du tout et mes journées ne dépasse guère 200 à 250 Fr. Par contre le charbon de bois va bien, malheureusement nous en manquons, je lui avais écrit la semaine dernière de venir de suite et aujourd'hui je lui ai envoyé une dépêche car depuis dimanche on nous crie sur le dos, aussi les sacs qu'il va amener je vais lui faire mettre immédiatement dans une charrette car ils sont vendus, il n'aura qu'à revenir dès le commencement de la semaine prochaine. 




Pour les roulages il n'y en a pas mal aussi, André aura une jolie note à la fin du mois car ils sont fréquents les jours où il a 9 ou 10 heures. Pour Aubinais, jusqu'ici nous avons toujours mis à son magasin à 10 Fr. la tonne, cela fait une journée à peu près, car l'autre jour il y en avait un qui pesait 8 tonnes, nous l'avons déchargé dans notre journée, en déduisant l'homme de journée cela donnait environ 65 Fr, cela doit aller comme ça.

Écoute mon petit loup je n'en peux plus je vais me coucher, je continuerai ma lettre demain matin elle va encore être retardée d'un jour, cela me contrarie pourtant car moi qui aime tant recevoir une lettre, ne crois pas que je te délaisse, au contraire, je t'aime encore davantage ce soir, s'il est possible, mais pardonne-moi car il est 11 heures et je suis lassée, à demain matin.


Il est 6h30, je reprends ma lettre. Sur une de tes dernières tu me parles du bois à Bardy, nous en avons rentré 170 que nous avons pris au pèlerin. Et puis maintenant il faut attendre le wagon de la Sarthe, je crois bien, devons-nous en recevoir d'autres du pèlerin ? Pour le paiement il attendra sûrement un peu car je ne suis pas bien riche ce mois-ci. Bageot ainsi que tu en parles sur cette même lettre va faire un tour à Cheix et à Rouans d'ici quelques jours.

Comment faut-il m'y prendre pour payer le vétérinaire moi qui n'a pas occasion de les voir !

J'ai été trouver Mr Imbert au sujet des 3000 Fr, il m'a dit que l'on pouvait lui donner 500 Fr. si on voulait, mais il ne fallait pas nous inquiéter si on ne donnait rien du tout, ce serait la même chose, il arrangerait cela.

L'argent ne rentre pas du tout, ces jours-ci aussi j'étais obligé de prendre 3400 Fr. pour payer le 15, cela me fâchait beaucoup, à la fin du mois je pourrais peut-être reboucher ce trou là car la fin du mois doit être dans les 2000 francs, je vais au commencement de ce mois-ci payer mon wagon de bois. Quelle chaleur aussi qu'il fait. 

Ne t'inquiète pas je compte pour la réserve ce que je t'envoie et ce que je prends pour le commerce et que j'espère pouvoir remettre bientôt. Aujourd'hui c'est la paye de la Chabossière, je ne sais pas ce que cela va donner. 

Pour tes "veillées  des chaumières" nous allons nous en occuper. Tu me demandes si j'ai vérifié les poumons de Monmonde. Non, d'ailleurs ce monsieur n'était pas du tout installé comme Monsieur Gendron et pour cela il aurait fallu faire un second cliché. Je te raconterai cela quand j'irai te voir. C'est vendredi qu'on la fait plâtrer, ne te tracasse pas trop à son sujet cela te ferait du mal.


Pour moi je suis assez courageuse, d'abord je n'ai pas le temps d'y penser, et puis je ne suis plus du tout la même, je prends davantage les choses avec résignation et comme elles viennent, je crois bien qu'on s'habitue à la peine comme à autre chose. C'est l'esprit plutôt qui est fatigué, je sens cela le soir quand je veux m'appliquer à quelque chose. On a des enfants qui sont un peu terrible aussi et qui me donnent de la peine. Marie a commencé une lettre pour toi hier au soir. Pardonne lui si elle ne t'écris pas car elle retourne veiller tous les soirs chez son patron et reviens vers 10h30, ou l'autre soir 11h30, elle n'a guère de temps de libre et moi aussi je suis obligé de faire mon travail toute seule. Heureusement que cela ne va pas durer.






Buzenval 19 juin 1925


Ma bien chère petite Cicine

J'ai reçu ta lettre hier après-midi je ne crois pas avoir attendu de lettres aussi impatiemment que celle-là. Tu vas peut-être te demander pourquoi, et bien pour deux raisons, d'abord sur ta lettre de dimanche tu m'as dit par deux fois que tu allais m'écrire le lendemain et puis aussi la principale raison c'est que depuis une semaine je n'avais pas eu beaucoup d'explications, je ne trouve pas cela drôle, je te l'ai déjà dit, car je savais que tu avais fort à faire. Cependant je ne voudrais pas que tu me dises par exemple : je t'écrirai demain, alors que tu ne le fais pas, et j'aime mieux avoir la joyeuse surprise d'une lettre que je n'attends pas que la déception de ne rien avoir alors que j'attendais. 

Si tu savais ce que sont pour moi ces lettres que je reçois, c'est ma vie en ce moment, car j'ai beau être à plus de 400 km de vous, je ne suis pas ici, et ma pensée est toujours avec vous! Tu vas peut-être dire que j'ai tort, comment veux-tu qu'il en soit autrement avec la vie que nous menons. Si notre journée était très occupé comme tu peux l'être  toi-même, je n'aurai pas le temps de penser à autre chose, malheureusement il n'en est pas ainsi ; je ne lis que le matin, car le tantôt je ne fais absolument rien pour pour tâcher de faire baisser ma température. Celle-ci est toujours la même, je ne sais quand elle se décidera à baisser, pourtant depuis hier le temps s'est rafraîchi et nous ne sommes pas gêné par la chaleur comme la semaine dernière, enfin je ne m'en fais pas trop pour cela, je mange toujours très bien et mon estomac est assez tranquille en ce moment. Aujourd'hui est un jour de visite pour moi, je t'en dirai le résultat sur ma prochaine lettre car le docteur ne passera sans doute guère avant midi.

Maintenant parlons un peu de vous, je vois que vous êtes encore très occupé ; la comptabilité de Monsieur Chassé' est donc bien en retard pour qu'elle soit obligé de retourner veiller ainsi. Il est vrai qu'elle n'en fout pas un coup dans la journée, tu dois trop bien la nourrir, et sans doute est-elle obligée de faire un somme l'après-midi. D'ailleurs es-tu bien sûre qu'elle va chez Monsieur Chassé le soir, ne va-t-elle pas galvauder  par-là avec un amoureux, il pourrait bien se faire que son Tom-pousse lui ait donné de ses idées… Surtout à des heures de rentrée pareilles 11h30 !!!

Tu me dis avoir reçu 170 fagots du pèlerin, mais nous devons en avoir davantage, Monsieur Bardy m'en avait promis dans les 500, il faudra insister pour qu'il les fournissent. D'ailleurs il n'y en aura pas beaucoup dans le wagon venant de la Sarthe, car les perches à elle seules feront déjà un bon poids. 

Pour le paiement des vétérinaires, tu n'as qu'à attendre qu'ils viennent ou qu'ils envoient leurs notes. D'ailleurs Monsieur Doussin devait revenir pour rogner les dents à *Marquise.

Tu as été voir Monsieur Imbert et l'affaire est arrangé, tant mieux il ne faudra pas attendre au 14 juillet pour aller les trouver, il vaudra mieux verser les 500 Fr. quelques jours avant, nous aurons aussi à payer le premier aout, les intérêts de ce que l'on doit à tonton, plus de 1600 Fr, tu pourrais peut-être lui demander à son retour de Paris qu'il nous attende jusqu'à la Toussaint, nous lui paieront avec le loyer. Il faudrait espérer que l'argent rentrera d'ici là, car nous aurons près de 8000 Fr. à donner avec l'argent à Mercier, enfin à la grâce de Dieu. L'argent ne rentre pas beaucoup, bien sûr en ce moment, mais par contre tu n'auras plus de forte traite à payer maintenant. 

Tu as été obligé de prendre 3400 Fr. dans la réserve pour payer, mais tu ne comptes pas l'argent des garçons et la monnaie sans doute. C'est aujourd'hui  que vous allez à Nantes. Je ne puis hélas que te souhaiter du courage. Je serai près de toi par la pensée, et tu t'habitueras à le voir ainsi. Ma pauvre Cicine nous vivons un temps d'épreuves bien diverses en ce moment. Vivons quand même avec l'espoir d'un temps meilleur. 

Ma chérie je te quitte pour aujourd'hui. Que cette lettre emporte avec elle le meilleur de moi-même, c'est-à-dire tout mon amour pour toi. Ton petit mari qui compte les jours depuis longtemps déjà. 

Raymond


* L'inventaire en janvier 1926 trouvera trois juments: nous avons déjà les noms de Fleurette et Marquise !

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