vendredi 29 décembre 2023

Défilé des pompiers et la petite Marie



 Coueron le 26 juillet 1925

Bien cher petit lapin

Il est une heure et demie, j'avais envie d'aller me reposer comme je le fais d'ordinaire, le dimanche tantôt, mais je me décide plutôt à t'écrire pour deux raisons : d'abord parce que j'ai la petite Marie aujourd'hui qui dort en ce moment avec Raymonde qui a l'air de vouloir le faire aussi, et ensuite parce que tout à l'heure, le défilé des pompiers va passer, musique en tête et va tout me réveiller, car aujourd'hui il y a à Couéron un grand concours de pompiers ( neuf sociétés) qui vont travailler place de la mairie. Donc je me mets à faire ma lettre tout de suite de crainte de ne pouvoir le faire plus tard.

J'ai reçu ta lettre ce matin, j'ai vu que ta température et ta lésion se maintiennent toujours pareil ; c'est bien ennuyeux que cette température ne baisse pas, Marie fera à cette intention une neuvaine à la Sainte vierge à partir du premier aout , tu aurais dû demander au docteur d'où cela pouvait venir, si cela ne viendrait pas de ce que depuis un an tu avais eu du surmenage ; comme il faudra donc faire attention quand tu reviendras à la maison, il ne faudra pour ainsi dire ne t'occuper de rien, surtout ne pas aider à charger les charrettes, ne pas faire les queue de sac, ne pas courir après les hommes de journée, enfin on est pas rendu là, mais faut tout de même y penser et prendre dès maintenant de bonnes résolutions. Le principal dans tout cela c'est que ta lésion est toujours la même, je me trompe peut-être mais il me semble qu'il ne faut pas attendre d'amélioration tant qu'il y aura des crépitements. Enfin j'ai toujours bon espoir que cela viendra un jour.

Aujourd'hui j'ai donc eu une bonne surprise, ma petite Marie pour toute la journée, je ne l'attendais pas, aussi j'ai été bien contente. Je t'assure qu'elle est bien mignonne, c'est d'abord une belle petite fille, fraîche avec ses beaux yeux gris ; elle est bien gentille, partage bien ses jeux avec Monmonde, mieux que Raymonde qui elle ne veut rien donner du tout, elle devient égoïste  à force d'être là-dedans oú nous la servons à souhait. La petite Marie ne marche pas encore seule et cherche toujours la main pour partir comme faisait Mileine. Pour causer elle n'est pas avancée mais se fait bien comprendre et dis oui ou non avec sa tête, avec sa main elle fait merci ou au revoir. Ce matin elle entendait une poule chanter, alors,  mettant son petit doigt en l'air elle disait : Co Co Co... tout à l'heure on se réveillant elle appelait Lucie comme c'est elle qu'elle voit d'ordinaire en disant : « tante naine » Madeleine dit qu'elle a pris toute seule l'habitude de l'appeler comme cela. Je les ai laissées, elle s'est endormie.

Monmonde vient de se lever, j'entendais la musique du défilé qui arrivait, comme je me doutais que cela allait me la réveiller et qu'elle aurait pleuré après ne l'ayant pas vu, j'ai rentré dans la salle à manger et je lui ai dit : « Monmonde voilà la musique » tu parles qu'elle ne la pas fait dire deux fois, la voilà assise et puis la sucette de côté et puis on a été voir le défilé sur la rue, tous les pompiers avec leur pompes partis manœuvrer sur la place de la mairie, il y a un monument en planche installé. Il paraît qu'il y a 30 ans qu'il n'y avait eu un concours semblable à Couëron, il va y avoir du monde! 

À part cela il n'y a pas grand-chose de nouveau, le commerce passe au petit train, vivement l'hiver que l'on voit un peu plus d'argent, enfin cela ne va pas trop mal tout de même, j'ai reçu une lettre de bernard pour le prix du rondin, il s'était trompé, mais il ne me dit pas s'il s'est trompé pour la mesure, je voudrais bien le savoir avant d'en commander d'autres. 


Allons je t'écrirai de nouveau mardi car mes deux bout de zan sont réveillés je vais être bien occupée, surtout que ma petite Marie n'est pas trop hardie, je te serre follement sur mon cœur, aussi toi, cher petit loup que je voudrais tant avoir près de moi, quelle vie que l'on a ! 

Mille tendres baisers. Ta femme à toi seul pour toujours. 

Célestine




jeudi 28 décembre 2023

25 juillet 1925

 


Buzenval, 24 juillet 1925

Ma bien chère Cisine


Il est 11 heures et c'est en attendant le docteur que je t'écris, j'espère qu'il ne me passera pas comme cela lui arrive quelques fois. Je l'entends justement qui commence ses consultations, mais je passe toujours le dernier étant le dernier de sa liste.

Pour moi toujours la même température. Il faut te dire que depuis plusieurs jours, ce n'est que des orages, et pas des petits, qui durent facilement une demi-journée, aussi notre température n'est pas sans un subir les conséquences. Hier nous avons eu une journée à peu près supportable et j'avais 38°3. Aujourd'hui le temps est complètement gris, mais je ne crois pas que ce soit de l'orage, il va sans doute tomber de l'eau. J'aime mieux ce temps, la chaleur y est au moins plus supportable. Je suis toujours mon régime de lait et d'œuf. J'ai vu sur l'écho de Paris un article qui parlait un peu de nous, ou du moins de ceux qui avait un mauvais estomac, on disait que pour ménager l'estomac, dans ce cas il fallait faire des repas léger, mais fréquent, c'est un peu ce que je fais en ce moment. Je ne reçois guère mon lait avant 5 heures. Je n'en prends qu'un verre pour que ça ne m'empêche pas de manger à 7h. J'en prends deux verres à 9h30, avant de me coucher. J'en mets un autre verre sur la table de nuit que je bois quand je me réveille dans le milieu de la nuit pour uriner. Le matin comme je me réveille de bonheur entre parenthèses 4h30 ou 5 heures) je prends alors mon œuf et ce qu'il me reste de lait. À 8h30 je mange mon café au lait comme à l'habitude. Le midi je ne mange pas beaucoup, tu as dû le voir d'ailleurs, à 4h je prends 4 petits-beurre, ce qui ne m'empêche pas de bien manger le soir.

J'arrête car le docteur est prêt de passer et je vais commencer à me déshabiller.

Voila, une visite 2 plus de passée. Cette fois j'ai demandé davantage d'explications au docteur. Il trouve toujours drôle que j'ai autant de température, car il dit: «Vous ne crachez presque pas, vous ne toussez pas beaucoup, et d'après votre lésion vous ne devriez pas en avoir autant ». Je lui ai dit que j'avais un mauvais estomac, il m'a répondu que ça ne venait pas de là. Je lui ai demandé si il n'y avait pas moyen de la faire baisser. Il m'a demandé si je mangeais bien le soir, je lui ai dit oui :" Dans ce cas, la chloroquine ne vous ferait rien de plus. Faites bien votre cure de repos, c'est le principal, d'ailleurs ces trois jours d'orage ne vous ont pas arrangé. 

Je lui ai demandé ce que faisait mon poumon, si la lésion s'était aggravée. Il m'a répondu que non que c'était toujours crépitant, mais plutôt moins que plus.

Je me dépêche car il est midi moins dix. 

Les enfants vont bien, tant mieux, j'espère que toi aussi est en bonne santé. Le commerce marche toujours, tant mieux c'est ce qu'il faut. Sultane à recommencé à travailler, j'espère qu'elle ne boitera pas longtemps. C'est tout de même  bizarre que Monsieur Rouaud manque de charbon comme ça! Cela ne lui arrivait pas les autres années. Il nous fait perdre la vente.

En attendant de bonnes nouvelles, je te serre sur mon cœur très fort! 

Ton mari qui t'aime follement, Raymond.






22 juillet 1925




 Buzenval 22 juillet 1925

Ma chère petite femme

J'ai reçu ta lettre hier tantôt, j'ai vu avec plaisir que tu avais été assez raisonnable de ne pas t'inquiéter au sujet de mon poids. Raymonde est à peu près rétablie, tant mieux, je crois qu'elle est toujours aussi gaie avec tout le monde, j'aime beaucoup mieux avoir des enfants comme ça que d'en avoir qui ne disent rien du tout et qui sont renfermés. J'espère que la petite Marie est aussi à peu près rétablie. Je crois en effet que pour toi le retour n'a pas ( illisible) et que les ennuis n'ont pas manqué à ton arrivée. 

Tu en as eu de la peine pour trouver du foin, encore pas bon marché. C'est égal, Barré n'a pas agi en homme franc, et je crois que si j'avais été là, je lui aurais sûrement flanqué au nez ; il avait peut-être peur que tu n'ai pas d'argent pour le payer.

C'est encore heureux que tonton Martin a bien voulu te céder le siens pour t'arranger ; il faut croire tout de même qu'il n'est pas trop fâché avec nous. Je connais le pré des lauriers, et je crois en effet que le foin doit être bon, et puis il a un sérieux avantage sur les autres prés, c'est qu'il n'est pas loin et n'a pas de mauvais chemin, par conséquent moins de chances de renverser. 

Maintenant je serais d'avis que vous ne vous pressiez pas trop à les  rentrer de manière que ce qu'il reste le moins possible de vieux foin, vous avez encore un mois d'été de ici la charge des prés.

Pour cette histoire de marché, je trouve cela un peu drôle, je me souviens très bien que lorsque Monsieur Dagobert est venu fin avril, il devait nous rester à prendre sur le marché d'hiver de 120 à 130 tonnes, mais je me souviens très bien aussi que j'ai dit à Monsieur Dagobert : « si vous voulez nous allons transformer ses 120 ou 130 tonnes en un nouveau marché 250 tonnes jusqu'à fin juillet. Mais jamais il n'avait été question de prendre d'abord l'ancien marché. J'aurais d'ailleurs été dans l'impossibilité de prendre 270 tonnes dans si peu de temps. Quand je traiterai de nouveau en octobre, je m'arrangerai pour que ça ne se renouvelle pas. Alors si je t'ai bien comprise, nous commençons seulement le marché de 150 tonnes. Dans ce cas ces 150 tonnes nous conduiront jusqu'à mon retour.

Maintenant puisqu'au Blangy, les boulets sont plus chers, tu pourrais peut-être traiter de la gayette ; si Monsieur David voulait, comme il y a de grandes chances pour que cela augmente, tu pourrais traiter jusqu'à fin décembre 40 tonnes.

Nous n'avons pas de chance pour commencer avec Sultane, enfin lorsqu'il n'y a pas de complications, cela ne dure pas longtemps. Cela va encore te faire des frais.

Tant qu'à moi ça ne va pas mal, nous n'avons que des orages depuis plusieurs jours, aussi il fait une chaleur étouffante. Hier je n'ai pas trop souffert car je n'avais que 38°2.

je prends toujours mon lait, je n'ai plus deux. Mais j'irai en chercher demain. J'ai peut-être été un peu gêné au début, mais maintenant je mange autant comme avant. Monsieur Blondeau est revenu des samedis parme nous , ça n'a pas été grand-chose. Rien de plus pour aujourd'hui ma chérie

Ton mari qui lui aussi te couvre de gros baisers. À toi toujours Raymond.

mercredi 27 décembre 2023

Couëron 22 juillet 1925, temps frais pour la saison

 




Couëron le 22 juillet 1925


Mon bien cher Raymond


J'espère avoir une lettre de toi ce soir, je l'aurais bien attendu avant de t'écrire, mais puisque me voilà prête à t'écrire, je n'attends pas. Tantôt j'ai fait mes comptes, puis ensuite j'ai été chercher de l'eau dentifrice et comme j'avais tes cols, je viens de te faire un petit colis que je vais donner à Lucien quand il va passer. Tes cols ne sont pas aussi jolis que les autres, mais en 36 ils n'avaient pas les mêmes dessins. Leur 36 est aussi grand que tes cols de toile en 37, c'est très drôle. Pourvu qu'ils vont ceux là !Si toutefois ils n'allaient , laisse les le bien enveloppés et on les changera quand tu reviendras.


Pour ce qui est de l'eau dentifrice, tu en mettras quelques gouttes dans un peu d'eau pour te rincer la bouche. Marie de Paris me disait que tu devrais te nettoyer la bouche après tous les repas. Il est vrai que cela désinfecterai bien la bouche et tuerais les microbes.




Hier j'étais obligé d'appeler Monsieur Moulinas car le plâtre de Monmonde s'abimait  dans le bas du dos, il lui a recoupé tout ce qui était ramolli, cela devait être les conséquences du pipi, je ne crois pas qu'il tiendra trois mois ce plâtre, mais Monsieur Moulinas disait que si on pouvait seulement le faire tenir jusqu'à la fin d'août , ça irait quand même. C'est ennuyeux aussi qu'elle n'est pas propre ; quand Monsieur Moulinas est parti elle sait bien dire les recommandations qu'il lui a faite, mais pas les mettre en pratique : « oui, dit-elle, il a dit à Monmonde, si tu fais pipi quel malheur il faut demander à maman : » mais elle n'en prend pas plus connaissance que cela. Maintenant on la met à table dans sa chaise, nous la tournons en travers puis on lui passe sa jambe libre sur un des côtés, puis sa jambe plâtrée reste sur le devant de la chaise, elle est très à l'aise et se plaît beaucoup mieux ainsi.

La nièce de Madame Chassé fait  de la photographie en s'amusant, je vais lui demander si elle veut prendre Monmonde dans sa chaise longue, comme cela tu aurais un aperçu de la position qu'elle a. 


La petite Marie se porte très bien à Nantes, Lucie l'a faite voir au dispensaire et le docteur a dit qu'elle n'avait rien du tout, elle est sujette à la constipation et c'est tout. Il paraît qu'elle est très maligne et ne veux voir que Lucie, quand Madeleine veut la prendre elle la bat . Marcel paraît-il est au même rang. Elle fait toujours des petits bouts ( en marchant) mais ne sait pas encore partir seule, elle n'est pas aussi avancée que Monmonde à causer.


Figure-toi que tantôt Monmonde m'a demandé une lettre à papa, je lui offre la première enveloppe venue : « non me dit-elle c'est pas ça » je lui en offre une à toi : « oui dit-elle c'est ça » maintenant elle nous lance ainsi des réflexions tous les jours, tu vas sûrement trouver du changement en elle quand tu vas venir. 

Et toi que deviens-tu si le temps est aussi frais là-bas qu'ici, ta température devrait baisser. Ton lait et ton œuf j'espère que tu les trouves toujours bon. Te souviens-tu que Mr Deselaux disais que tu serais mieux nourri là-bas que chez toi et bien s'il t'avait vu à 4h tremper des petits-beurre dans de l'eau je ne sais pas ce qu'il aurait dit!

Soignes toi donc le mieux que tu pourras!

Au moment de te coucher tu pourrais peut-être prendre quelques petits-beurres avec du lait. Faut-il t'envoyer des brioches ou des biscuits à la cuillère?

Le commerce ne va pas trop mal, sultane boite toujours un peu, aussi on ne la force pas puisque cette semaine on le peut, aujourd'hui henri a nettoyé le grenier, l'écurie, maintenant il est a secouer le vieux foin avec Monsieur Ordronneau et à le mettre au fond du grenier pour qu'il soit pris le premier; car on va commencer le plus tôt possible à rentrer le nouveau, surtout que le temps à l'air de vouloir se mettre à la pluie. Bernard m'a écrit ce matin et m'a dit que c'était une erreur et que le rondins étaient bien à 80 Fr, mais il ne me dit pas s'il s'était trompé à mesurer car ainsi que je te l'ai dit je n'ai trouvé que 2 stères et demie. J'ai remis dans la réserve les 2000 Francs que je devais et dès maintenant j'ai plus qu'il ne m'en faut pour payer mon échéance du 31 juillet. Allons, je vais terminer, dans une demi-heure j'espère avoir de tes nouvelles car il est 5h30, dans l'espoir qu'elles seront bonnes, je te quitte en t'embrassant très très fort. Ta femme qui t'aimes follement. 

Célestine







jeudi 21 décembre 2023

Réflexions

 


"Pourquoi suspendre la course de ma main sur ce papier qui recueille, depuis tant d'années, ce que je sais de moi, ce que j'essaie d'en cacher, ce que j'en invente et ce que j'en devine ? 

Colette ( 1873 1954) 



Je m’éveille le matin avec une joie secrète de voir la lumière ; je vois la lumière avec une espèce de ravissement ; et tout le reste du jour je suis content. Je passe la nuit sans m’éveiller ; et le soir, quand je vais au lit, une espèce d’engourdissement m’empêche de faire des réflexions.

Monsieur de Montesquieu ( 1689 1755)

samedi 16 décembre 2023

19 juillet, le cours du foin, du charbon et la blessure de Sultane



Couëron 19 juillet 1925


Bien cher Raymond

Il est trois heures moins dix , je viens de me reposer un peu, maintenant je vais me mettre à t'écrire avant de mettre ordre dans mes comptes.

Je n'ai reçu ta lettre que ce matin, aussi tu devines combien elle était attendue ; j'ai été un peu ennuyé de voir que tu avais encore maigri, mais en y réfléchissant. je trouve que ce n'est pas drôle, d'abord jusqu'à mon arrivée tu avais une température assez élevée, et puis ces quatre jours t'ont un peu dérangé, la température était assez haute, puis de coucher ensemble, cela t'a fait "travailler" un peu, surtout que tu en avais perdu l'habitude, mais j'espère que si tu peux malgré ton estomac prendre ton litre de lait et un œuf, tu vas peut-être reprendre un peu surtout que la température a l'air de se calmer, car 38°3 le lendemain de mon départ alors qu'il faisait très chaud n'était sûrement pas mauvais.

Allons, j'ai moi aussi bien confiance en Notre-Dame de la Salette et je suis sûre qu'elle aura pitié de nous et qu'elle nous exaucera. J'attends avec impatience une nouvelle lettre de toi me donnant de bonnes nouvelles. Que devient Monsieur Fardo qui faisait de nouveau de la température et les deux petites jeunes filles? 




Monmonde est tout à fait rétablie, je n'ai cependant pas commencé à la sortir, en ce moment elle est devant la porte ouverte toute grande, elle voit les passants en chantant tout son répertoire, et répondant aux bonjours que les gens lui donne en passant. C'est qu'elle n'est pas en peine de répondre, l'autre jour Marie me disait que quand Mr Moulinas est venu la voir et lui a dit: « Où as-tu donc bobo mon Petit? Non, pas toi Moulinas! lui a-t-elle répondu! 

Ma petite Marie est parti pour Nantes vendredi seulement, elle avait un peu d'entérite et Lucie devait la purger hier, je n'en ai pas eu de nouvelles, c'est toujours un petit sang bouillant, je la reverrai je crois jeudi. Pour moi cela va toujours très bien, question santé, mais question commerce depuis que je suis arrivé je n'ai que des ennuis, espérons que tout se terminera bien, je vais te raconter ces petites histoires en quelques mots.

D'abord en arrivant jeudi, Bageot me dit : « Vous savez, vous avez tardé pour votre foin, c'était dimanche le grand jour, vous allez payer plus cher et encore pas sûr si vous en trouvez, car il n'y en a pas beaucoup : »

Le jeudi soir je me rends chez tonton qui me dit qu'il n'en avait pas, étant obligé de faire un mulon pour Francis ; et tu sais me dit-il, tu auras de la peine à en trouver, tu es un peu tard. Va donc voir me dit-il chez Lepage du "creux chemin", ou chez Barré au Mortier des Noues! 

Lepage avait traité depuis deux jours avec Aubinais et Auffray.....je vais jusque chez Barré, il m'en promet 15 mille au prix de 130 Fr rendu à la maison, n'ayant pas mon compte je retourne chez tonton lui raconte que j'en ai pas assez, et bien me dit-il, tu prendras quatre mulons dans mon pré du laurier, cela t'en fera **8 mille environ, cela fera ton compte, au prix de 130 Fr, pris sur le pré. Je rentre chez nous à 10h, contente quand même, le prix le plus courant est en 125 Fr. pour le beau foin. 

Le lendemain Barré vient me dire qu'il ne fallait pas y compter, me racontes une histoire qui est vrai ou pas vrai, toujours est-il que j'étais de nouveau sans foin! 






Je me suis de nouveau inquiétée, par-là, le père Lame me dit : « vous feriez mieux d'attendre à dimanche, c'est tout de même bien rare que vous ne trouviez pas : ».  Ce matin j'ai été à la messe de huit heures. Bageot et henri se sont trouvés sur la place, on a questionné les uns et les autres mais on n'en trouvait pas. Tonton Martin me voyant, est venu me trouver et de son air vif m'a dit

 : « alors tu ne trouves pas ton affaire : » non je suis très ennuyée, Barré est venu me dire de ne pas y compter! Et bien me dit-il tu n'auras qu'à prendre tout le pré , il y a une dizaine de mulons. Mais il n'a rien voulu me diminuer, il viendra simplement nous aider à le charger. Il y aurait paraît-il une vingtaine de milles dans ce pré, d'après les autres cultivateurs ce serait du foin de première qualité c'est pour cela qu'il ne voulait pas le lâcher à moins cher. Ce pré, il l'a pris de la veuve Daubin,  et il se trouve sur la droite au détours de la route qui mène à la Bourdinière, en face de chez Babin, il est donc très facile à prendre, Bageot  est parti le voir tantôt, nous allons d'abord rentrer cela puis si le grenier n'est pas plein, nous en achèterons une charrette par là, c'est bien rare que pour une charrette cela ne se trouverait pas. Il nous en reste en ce moment deux à 3 milles dans le grenier. Cette histoire est donc arrangée. J'ai payé cinq francs de plus que les autres mais je crois que je serai servi à souhait.

Deuxième ennui : les deux dernières factures de boulets que je recevais de chez leborgne m'étaient facturées 125 Fr.. Je téléphone, on me dit qu'on en parlera à Monsieur Thomas. Hier matin je reçois une confirmation de commande à valoir  sur mon marché à 125 Fr.. Je téléphone de nouveau on répond qu'il ne s'était pas trompé et que mon marché en cours était bien de 125fr N'y comprenant plus rien du tout, j'ai demandé un rendez-vous avec Monsieur Thomas pour le tantôt et je suis parti à Nantes au train de 2 heures. 

Et voici l'explication de l'affaire : en juillet l'année dernière, tu avais traité 350 tonnes à 130 Fr, en septembre, tu en as traité de nouveau 120 tonnes à 130 Fr. et sur visite à Monsieur Thomas, le marché avait été reporté à 125 Fr.. Au passage de Monsieur Dagobert le 29 avril tu as traité un nouveau marché de 130 tonnes à 128 Fr. mais qui ne devait prendre cours d'après Monsieur Dagobert, que j'ai vu aussi, qu'à  l'expiration de ton marché d'hiver sur lequel à la fin avril il te restait encore à prendre 120 tonnes je crois. Nous marchions donc toujours sur ce marché de septembre et on payait 120 Fr depuis  mai  parce que en ce moment le charbon avait baissé et qu'on avait garanti de baisse, mais le charbon à augmenté et  revenait au prix réel du marché jusqu'à expiration. Je suis sûre que toi non plus tu n'avais pas compris cela et que tu pensais que ton marché d'avril annulait les autres! 

Pour nous arranger voilà ce qu'a décidé Monsieur Thomas : « à partir de maintenant nous allons prendre le marché à 120 Fr. et suspendre celui à  125 Fr., il n'y aura donc pas question de  l'annuler à la fin juillet, quand ces 150 tonnes seront finies nous reprendrons les 70 tonnes qui reste à 125 Fr. Monsieur Thomas m'a dit que nous n'y perdrons pas car il y a grandes chances que cela augmentera plutôt! Tu vois il est encore assez chic. Cela, me dit il, vous conduira à peu près jusqu'au retour de Monsieur gourby qui ensuite traitera de nouveau pour son hiver. Je trouve donc inutile de faire provision de boulets puisqu'il en est ainsi. Pour la gayette, il ne m'en reste plus que 15 tonnes à prendre. Et non deux wagons complet ainsi que me l'avait dit Mr Courtois ; la Braisette, il en restera encore un peu à prendre. 

Cette histoire était donc aussi elle arrangée.

Mais pendant mon absence il est arrivé un petit accident. Sultane s'est enfoncée une pointe dans la patte, donc incapacité de travail durant quelques jours, il n'y a cependant rien à craindre car Babin l'a piqué aussitôt contre le tétanos. Bageot dit que pour lui ce ne sera rien et pas bien long car elle a bien saigné et a été prise tout de suite. Nous lui mettons des cataplasme humide et lui "empochons" la patte afin qu'elle n'attrape pas de saleté, la plaie est assez profonde car la pointe était bien enfoncée de 2 ou 3 cm. Monsieur lechat en a eu un qui est resté 15 jours à l'écurie pour la même chose mais il l'avait laissé marcher quatre ou cinq jours sans soigner la plaie alors cela avait pourri! Mais sultane pour le moment n'a pas l'air d'avoir de pourriture, j'espère donc que ce ne sera pas long.


Comme nous avons deux wagons en gare  depuis hier je vais les  faire vider par Lebreton demain car il y a des livraisons à faire puis les maçons ont des besoins! J'ai envie d'écrire aussi à Leborgne de retarder un peu mes wagons en commande, de cette façon nous arriverons peut-être à faire notre travail par nous-mêmes malgré ce petit accident.

C'est tout ce que je vois à te dire, pour une lettre, c'est une grande, j'espère que tu t'en plaindra pas, j'y ai passé tout mon après-midi à la faire et à servir Monmonde qui a toujours besoin de quelque chose, car voilà qu'il est 6 heures moins le quart, je vais maintenant faire mes comptes d'hier et ma caisse, je n'aurais pas fini de bonne heure ! U

Je termine donc en te mettant sous la protection de notre bonne mère de la Salette étant bien sûre qu'elle te protégera et que dans quelques jours j'aurai de bonnes nouvelles.

Que je voudrais revivre encore ces quatre jours bien ensemble qui ont été si court pour nous. Dans l'espoir que cela viendra un jour je te couvre de baisers, cher bien-aimé! 

Ta petite femme toute à toi 

Célestine ❤️❤️❤️❤️


j'espère que tu comprendras mes explications car en relisant je me demande si mon bavardage est bien clair. 

** Qu'est qu'un mille de foin? J'ai retrouvé cette unité au 18° siècle représentant rations de foin pour éventuellement un cheval :