Couéron, le 16 juillet 1925
Mon bien cher Raymond.
Je suis arrivé ce matin après un très bon voyage, j'ai dormi tout le long du chemin, j'ai même trop dormi...au lieu d'arrêter à Couéron, j'ai été jusqu'à Saint-Étienne, je l'avais mauvaise, ne voulons pas attendre jusqu'à sept heures l'omnibus, j'ai été chez Armand Gourdon le cousin à maman, qui m'a prêté une bicyclette et à 6h j'étais arrivé à la maison, pas fatiguée. Un marchand de légumes de Saint-Étienne m'a apporté ma valise dans la matinée et à ramené la bicyclette.. Peux-être tu vas dire que cela est bien de mes coups, je m'étais dit que je ne te le dirai pas, mais après tout ça ne fait pas grand-chose. Et je suis arrivé je te l'assure très dispos.
Hier au soir j'ai bien trouvé Marie à Saint-Lazare, puis nous avons été pour voir Tante, mais nous n'avons trouvé personne, tant pis, la visite compte tout de même car nous nous sommes faits annoncer par la concierge ; alors j'ai été souper chez Marie qui m'a donné ensuite de quoi manger et boire dans le train, j'ai mangé vers minuit ; je préfère voyager de nuit car je trouve le chemin beaucoup moins long, je verrai comment je ferais à la mi août ; je voyagerai peut-être toujours de nuit.
Nous avons passé quatre bons jours, pourvu que cela ne t'a pas donné de fatigue, j'ai eu l'idée de t'avoir quitté bien dispos sans trop de température. Oh, bien cher amour, comme nous serons heureux quand de nouveau nous vivrons ensemble sans idées de séparation, car je t'aime autant comme l'on peut aimer, tu es toute ma vie !
j'ai toujours bon espoir que ce temps viendra et je crois que ta température vient un peu de ton estomac, j'ai cependant toujours très bonne idée de toi.
Ce matin j'ai trouvé Monsieur Moulinas ( le médecin ), qui m'a demandé de tes nouvelles, je lui ai répondu : « au physique il a toujours la même chose ; il fait toujours de la température, mais je crois qu'il n'a pas bon estomac car c'est au moment de la digestion qui se trouve le plus gêné, il digère difficilement »
Alors il m'a répondu : « je lui ai dit que la radio avait donné une cavité et autour une étendue plutôt jaunâtre. Cette cavité on la trouvera toujours, autrement le reste sera superficiel», Puis, naturellement ne t'ayant jamais traité il ne s'est guère étendu en explication ; mais je ne crois pas que ton cas soit mauvais, cependant redouble d'attention, repose-toi beaucoup, bois de l'eau de Vichy, n'oublie pas ton lait, mange ton œuf cru, si tu ne peux pas conserver ton lait je t'achèterai une bouteille spéciale, enfin mon cher amour ne néglige rien, à tout prix je veux t'avoir à moi, mon trois fois cher!
Pendant que nous étions tous les deux bien heureux, chez nous, Monmonde n'allait pas bien, samedi le jour de mon départ, le docteur appèlera bien trouvé de l'angine, dans l'espace de deux jours, elles lui ont mis 12 cataplasmes, sa pauvre gorge est toute pelée, lundi la rougeole s'est déclarée et elle est encore pleine de boutons, cependant aujourd'hui elle va très bien. En ce moment elle est dans sa chaise longue à manger son pain et son chocolat. Marie a été cependant trois nuits durant lesquelles elle n'a guère dormi. Le docteur Moulinas que j'ai rencontré ce matin ainsi que je te l'ai dit plutôt m'a dit : « votre petite est très bien maintenant, votre sœur a été beaucoup affolée, surtout que vous n'étiez pas là, mais maintenant c'est passé, pauvre Marie, ce que nous lui devrons gros.
La petite Marie était aussi aujourd'hui fatiguée, Lucie a fait venir Monsieur Moulinas qui lui a dit que c'était un peu d'entérite et que maintenant on pouvait lui redonner du lait. Tout cela est donc beaucoup de bruit pour pas grand chose puisqu'au bout de deux ou trois jours tout est fini.
Question de commerce cela n'a pas trop mal été pendant mon absence, le wagon de Bernard arrivé mardi n'était pas tout à fait ça, ses bûches ne sont pas mauvaises, mais Bageot tiens à les mesurer trouvant que les 3 stères n'y sont pas, puis il me les coûte 89 € la corde alors que sa lettre concernant le marché porte 80 Fr. la corde, aussi dès que le bois va être mesuré je lui écrirai à ce sujet et ne le paierai qu'après réponse.
En plus la société combustible m'envoie un wagon de boulet avec une facture portant la tonne à 129 Fr alors que le marché est 120 Fr., aussi je me prépare à aller téléphoner. Tout ça c'est des ennuis de commerce! Tonton vient de partir au Pouliguen et m'a dit, « tu m'enverras l'argent que tu me dois au premier aout et je t'enverrai quittance»**
Comme l'argent avais un peu rentré ces jours-ci et que malgré que j'avais pris 500 Fr. il y avait en caisse 5500 et 6000 Fr., je lui ai donné son argent immédiatement, comme cela je serai débarrassé de lui, 15 jours plus vite ou 15 jours plus tard tant pis.!
Monmonde était bien contente de me revoir malgré que durant mon absence elle ne m'a pas demandé, je lui ai dit que papa avait dit de l'embrasser très fort, je l'ai embrassé bien dur pour toi. « Il est mignon mon petit papa! m'a t'elle dit »
C'est tout ce que je vois à te dire, je voudrais savoir au juste combien je t'ai donné d'argent en plus des 1000 Fr. que j'avais spécialement pris pour toi, car je ne sais pas combien la réserve doit au juste à la caisse du commerce car je veux compter mes dépenses sur le commerce et les tiennes sur la réserve, c'est le commerce qui paiera les frais d'hôtel.
Dans l'attente de bonnes nouvelles avec l'espoir que Notre-Dame de la Salette nous exaucera, reçoit mon chéri les meilleurs baisers de ta femme qui t'aimes à la folie. Je te couvre de baisers.
Cicine
PS, À mon avis je vais te laisser 150 en plus 2000 Fr. que j'avais porté. Compte dans cet argent les 250 Fr. donnés à Joseph.
** Elle parle ici du paiement des intérêts de la somme importante que Raymond devait à son oncle Joseph Gourby pour l'achat de son entreprise peu de temps après son mariage avec grand-mère ! Il ne devait lui faire payer que les intérêts à chaque trimestre jusqu'en 1926 où il devait commencer à rembourser le " principal" , la mort de Raymond en novembre 1925 entraînera la liquidation totale de l'entreprise !
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