samedi 16 décembre 2023

19 juillet, le cours du foin, du charbon et la blessure de Sultane



Couëron 19 juillet 1925


Bien cher Raymond

Il est trois heures moins dix , je viens de me reposer un peu, maintenant je vais me mettre à t'écrire avant de mettre ordre dans mes comptes.

Je n'ai reçu ta lettre que ce matin, aussi tu devines combien elle était attendue ; j'ai été un peu ennuyé de voir que tu avais encore maigri, mais en y réfléchissant. je trouve que ce n'est pas drôle, d'abord jusqu'à mon arrivée tu avais une température assez élevée, et puis ces quatre jours t'ont un peu dérangé, la température était assez haute, puis de coucher ensemble, cela t'a fait "travailler" un peu, surtout que tu en avais perdu l'habitude, mais j'espère que si tu peux malgré ton estomac prendre ton litre de lait et un œuf, tu vas peut-être reprendre un peu surtout que la température a l'air de se calmer, car 38°3 le lendemain de mon départ alors qu'il faisait très chaud n'était sûrement pas mauvais.

Allons, j'ai moi aussi bien confiance en Notre-Dame de la Salette et je suis sûre qu'elle aura pitié de nous et qu'elle nous exaucera. J'attends avec impatience une nouvelle lettre de toi me donnant de bonnes nouvelles. Que devient Monsieur Fardo qui faisait de nouveau de la température et les deux petites jeunes filles? 




Monmonde est tout à fait rétablie, je n'ai cependant pas commencé à la sortir, en ce moment elle est devant la porte ouverte toute grande, elle voit les passants en chantant tout son répertoire, et répondant aux bonjours que les gens lui donne en passant. C'est qu'elle n'est pas en peine de répondre, l'autre jour Marie me disait que quand Mr Moulinas est venu la voir et lui a dit: « Où as-tu donc bobo mon Petit? Non, pas toi Moulinas! lui a-t-elle répondu! 

Ma petite Marie est parti pour Nantes vendredi seulement, elle avait un peu d'entérite et Lucie devait la purger hier, je n'en ai pas eu de nouvelles, c'est toujours un petit sang bouillant, je la reverrai je crois jeudi. Pour moi cela va toujours très bien, question santé, mais question commerce depuis que je suis arrivé je n'ai que des ennuis, espérons que tout se terminera bien, je vais te raconter ces petites histoires en quelques mots.

D'abord en arrivant jeudi, Bageot me dit : « Vous savez, vous avez tardé pour votre foin, c'était dimanche le grand jour, vous allez payer plus cher et encore pas sûr si vous en trouvez, car il n'y en a pas beaucoup : »

Le jeudi soir je me rends chez tonton qui me dit qu'il n'en avait pas, étant obligé de faire un mulon pour Francis ; et tu sais me dit-il, tu auras de la peine à en trouver, tu es un peu tard. Va donc voir me dit-il chez Lepage du "creux chemin", ou chez Barré au Mortier des Noues! 

Lepage avait traité depuis deux jours avec Aubinais et Auffray.....je vais jusque chez Barré, il m'en promet 15 mille au prix de 130 Fr rendu à la maison, n'ayant pas mon compte je retourne chez tonton lui raconte que j'en ai pas assez, et bien me dit-il, tu prendras quatre mulons dans mon pré du laurier, cela t'en fera **8 mille environ, cela fera ton compte, au prix de 130 Fr, pris sur le pré. Je rentre chez nous à 10h, contente quand même, le prix le plus courant est en 125 Fr. pour le beau foin. 

Le lendemain Barré vient me dire qu'il ne fallait pas y compter, me racontes une histoire qui est vrai ou pas vrai, toujours est-il que j'étais de nouveau sans foin! 






Je me suis de nouveau inquiétée, par-là, le père Lame me dit : « vous feriez mieux d'attendre à dimanche, c'est tout de même bien rare que vous ne trouviez pas : ».  Ce matin j'ai été à la messe de huit heures. Bageot et henri se sont trouvés sur la place, on a questionné les uns et les autres mais on n'en trouvait pas. Tonton Martin me voyant, est venu me trouver et de son air vif m'a dit

 : « alors tu ne trouves pas ton affaire : » non je suis très ennuyée, Barré est venu me dire de ne pas y compter! Et bien me dit-il tu n'auras qu'à prendre tout le pré , il y a une dizaine de mulons. Mais il n'a rien voulu me diminuer, il viendra simplement nous aider à le charger. Il y aurait paraît-il une vingtaine de milles dans ce pré, d'après les autres cultivateurs ce serait du foin de première qualité c'est pour cela qu'il ne voulait pas le lâcher à moins cher. Ce pré, il l'a pris de la veuve Daubin,  et il se trouve sur la droite au détours de la route qui mène à la Bourdinière, en face de chez Babin, il est donc très facile à prendre, Bageot  est parti le voir tantôt, nous allons d'abord rentrer cela puis si le grenier n'est pas plein, nous en achèterons une charrette par là, c'est bien rare que pour une charrette cela ne se trouverait pas. Il nous en reste en ce moment deux à 3 milles dans le grenier. Cette histoire est donc arrangée. J'ai payé cinq francs de plus que les autres mais je crois que je serai servi à souhait.

Deuxième ennui : les deux dernières factures de boulets que je recevais de chez leborgne m'étaient facturées 125 Fr.. Je téléphone, on me dit qu'on en parlera à Monsieur Thomas. Hier matin je reçois une confirmation de commande à valoir  sur mon marché à 125 Fr.. Je téléphone de nouveau on répond qu'il ne s'était pas trompé et que mon marché en cours était bien de 125fr N'y comprenant plus rien du tout, j'ai demandé un rendez-vous avec Monsieur Thomas pour le tantôt et je suis parti à Nantes au train de 2 heures. 

Et voici l'explication de l'affaire : en juillet l'année dernière, tu avais traité 350 tonnes à 130 Fr, en septembre, tu en as traité de nouveau 120 tonnes à 130 Fr. et sur visite à Monsieur Thomas, le marché avait été reporté à 125 Fr.. Au passage de Monsieur Dagobert le 29 avril tu as traité un nouveau marché de 130 tonnes à 128 Fr. mais qui ne devait prendre cours d'après Monsieur Dagobert, que j'ai vu aussi, qu'à  l'expiration de ton marché d'hiver sur lequel à la fin avril il te restait encore à prendre 120 tonnes je crois. Nous marchions donc toujours sur ce marché de septembre et on payait 120 Fr depuis  mai  parce que en ce moment le charbon avait baissé et qu'on avait garanti de baisse, mais le charbon à augmenté et  revenait au prix réel du marché jusqu'à expiration. Je suis sûre que toi non plus tu n'avais pas compris cela et que tu pensais que ton marché d'avril annulait les autres! 

Pour nous arranger voilà ce qu'a décidé Monsieur Thomas : « à partir de maintenant nous allons prendre le marché à 120 Fr. et suspendre celui à  125 Fr., il n'y aura donc pas question de  l'annuler à la fin juillet, quand ces 150 tonnes seront finies nous reprendrons les 70 tonnes qui reste à 125 Fr. Monsieur Thomas m'a dit que nous n'y perdrons pas car il y a grandes chances que cela augmentera plutôt! Tu vois il est encore assez chic. Cela, me dit il, vous conduira à peu près jusqu'au retour de Monsieur gourby qui ensuite traitera de nouveau pour son hiver. Je trouve donc inutile de faire provision de boulets puisqu'il en est ainsi. Pour la gayette, il ne m'en reste plus que 15 tonnes à prendre. Et non deux wagons complet ainsi que me l'avait dit Mr Courtois ; la Braisette, il en restera encore un peu à prendre. 

Cette histoire était donc aussi elle arrangée.

Mais pendant mon absence il est arrivé un petit accident. Sultane s'est enfoncée une pointe dans la patte, donc incapacité de travail durant quelques jours, il n'y a cependant rien à craindre car Babin l'a piqué aussitôt contre le tétanos. Bageot dit que pour lui ce ne sera rien et pas bien long car elle a bien saigné et a été prise tout de suite. Nous lui mettons des cataplasme humide et lui "empochons" la patte afin qu'elle n'attrape pas de saleté, la plaie est assez profonde car la pointe était bien enfoncée de 2 ou 3 cm. Monsieur lechat en a eu un qui est resté 15 jours à l'écurie pour la même chose mais il l'avait laissé marcher quatre ou cinq jours sans soigner la plaie alors cela avait pourri! Mais sultane pour le moment n'a pas l'air d'avoir de pourriture, j'espère donc que ce ne sera pas long.


Comme nous avons deux wagons en gare  depuis hier je vais les  faire vider par Lebreton demain car il y a des livraisons à faire puis les maçons ont des besoins! J'ai envie d'écrire aussi à Leborgne de retarder un peu mes wagons en commande, de cette façon nous arriverons peut-être à faire notre travail par nous-mêmes malgré ce petit accident.

C'est tout ce que je vois à te dire, pour une lettre, c'est une grande, j'espère que tu t'en plaindra pas, j'y ai passé tout mon après-midi à la faire et à servir Monmonde qui a toujours besoin de quelque chose, car voilà qu'il est 6 heures moins le quart, je vais maintenant faire mes comptes d'hier et ma caisse, je n'aurais pas fini de bonne heure ! U

Je termine donc en te mettant sous la protection de notre bonne mère de la Salette étant bien sûre qu'elle te protégera et que dans quelques jours j'aurai de bonnes nouvelles.

Que je voudrais revivre encore ces quatre jours bien ensemble qui ont été si court pour nous. Dans l'espoir que cela viendra un jour je te couvre de baisers, cher bien-aimé! 

Ta petite femme toute à toi 

Célestine ❤️❤️❤️❤️


j'espère que tu comprendras mes explications car en relisant je me demande si mon bavardage est bien clair. 

** Qu'est qu'un mille de foin? J'ai retrouvé cette unité au 18° siècle représentant rations de foin pour éventuellement un cheval : 



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