mardi 17 octobre 2023

Célestine et Raymond




Fin mai 1925, Raymond Gourby, 26 ans, mon grand-père maternel, souffrant d'une tuberculose pulmonaire,  vient de partir pour Paris chez son oncle Joseph Gourby qui l'accompagnera le lendemain au sanatorium de Buzenval à Rueil sur la route de Versailles. Il ne reviendra jamais à Couéron, mais mourra le 30 novembre 1925, laissant son épouse Célestine et deux petites filles, Raymonde et Marie, ma mère qui n'avait qu'un peu plus d'un an. 



Paris, 27 mai 1925, après un bon dîner.


Ma chère Siçine


Deux mots simplement ce soir, car je ne vais pas tarder à aller au lit, j'ai fait un excellent voyage, et je n'étais pas trop fatigué, car j'ai eu mon compartiment seul jusqu'à Paris. Ma petite Siçine, je n'ai pas trop le cafard maintenant mais il n'en a pas toujours été de même, et je crois que tu as été plus courageuse que moi, cela m'a fait plaisir et j'espère que tu seras aussi forte demain pour attendre le résultat de la radio pour ta petite Raymonde. Espérons toutefois que ce ne sera pas grave, et peut-être ne sera-t-il pas nécessaire de faire ce que disait le docteur. Si ça peut te faire plaisir, j'ai mangé comme un ogre ce soir, Marie n'en revenait pas. Je t'écrirais plus longuement demain après mon entrée au sana. Joseph va sans doute m'accompagner demain matin car son travail n'a lieu qu'à partir de midi. Allons, bonsoir, ma chérie, à demain et surtout ne te frappe pas trop. Je t'embrasse très fort et de tout cœur. Bien des choses de Joseph et Marie. J'ai été très bien reçu.

Raymond.





Couéron,  mercredi soir 27 mai.


Bien cher Raymond.


Je vais commencer dès ce soir ma correspondance et ainsi je le ferai tous les soirs. Avant de te parler des évènements de la journée, parlons un peu de toi, j'aime à penser qu' à l'heure qu'il est : 8h45, tu es à Paris et que ton voyage n'a pas été trop mauvais, malgré que tu dois être un peu fatigué; dire que nous voilà séparés, quelle vie ! On ne crois pas encore que cela soit possible, que c'est la réalité.

Enfin, approfondissons pas, mon petit mari chéri, toute cette mauvaise année se passera comme les autres et espérons qu'ensuite nous verrons l'avenir moins nuageux. Pour moi le voyage du retour n'a pas été mauvais, mais sous une pluie battante qui a duré toute l'après-midi et dure encore.

Par ce mauvais temps Bageot et Mercier ont mis la gaillette en sac tantôt, Fuselle a été voir les bûches à Vaillant, il dit que c'est des bûches superbes qui vaut du rondins, mais il le fait à 135 Fr. la corde et du rondins, très beau aussi 150 Fr la corde ( sa corde mesure 2 × 0 85 × 1,80 mètres ), il ne veut rien diminuer, mais l'amènerais à domicile si on le voulait. Bageot dit que c'est un peu cher, tu donneras ton avis. Le wagon de boulets est arrivé en gare, j'ai reçu aussi ce soir une lettre pour le chiffre d'affaires, nous avons à payer pour l'année 1925, 1664 F en quatre périodes avril, juillet, octobre et janvier, le premier terme étant passé, il faudra sans doute que je paye cela le plus tôt possible. Le facteur a apporté aussi une lettre recommandée des contributions indirectes venant de Nantes mais comme elle est à ton adresse, je ne peux pas l'avoir il faudra que j'aurai une procuration faite et signée de toi enfin je te reparlerai de cela demain, j'irai prendre des renseignements à la poste, sans un billet de toi je ne peux pas l'avoir m'a dit le facteur.

C'est tout ce que je vois à te dire pour ce soir, la journée comme gain se monte à 200,80 Fr.. Mes comptes sont faits ; j'ai passé toute l'après-midi à mettre de l'ordre dans tous les tiroirs du bureau. Est-il nécessaire de garder les bons de sable et les  bons de charbon ?

Je termine pour ce soir en t'embrassant bien fort sur tes deux petits yeux, toujours près de toi j'ai la pensée. 

Célestine.


( le courrier était rapide, ma grand mère reçoit le lendemain la lettre écrite la veille par son mari ! Elle prolonge donc sa lettre par une réponse immédiate! ) 


Bien cher petit loulou.

J'ai reçu ce soir la lettre que tu as écrite de chez Joseph, je suis très heureuse que tu as fait bon voyage et que tu as bien mangé cela me prouve que tu n'avais pas beaucoup de fièvre alors il faut prendre ton courage à demain et surtout ne pas avoir le cafard.

Mr Moulinas me disait aujourd'hui que le sanatorium était bien ce qu'il te fallait, par certaine réflexion qu'il m'a faite je crois qu'on aurait mieux fait de le consulter lui que Mr Grolleau. Pour ce qui est de Monmonde, ce n'est pas très consolant, elle a une luxation congénitale,c'est-à-dire que l'os de la cuisse n'est pas emboîté dans la hanche, il est au moins 3 cm trop en avant et 4 cm trop haut donc il n'y a qu'un remède : la plâtrer pendant six mois! C'est effrayant vas-tu penser, oui mon petit Raymond c'est bien effrayant mais il le faut et je suis décidé ayant vu de mes yeux l'état dans lequel est sa hanche et pensant à la façon dont elle marcherait si je la laissais comme cela, elle me le reprocherait à 18 ans, de plus on ne traite cela que de deux à six ans il n'y a aucune autre solution, je t'enverrai la photographie de la radiographie dès que je le pourrai ; on va agir le plus vite possible puisqu'il faut en arriver là.

J'étais à la poste aujourd'hui mais il n'y a pas moyen d'avoir cette fameuse lettre, Elle ne doit pas être bien intéressant. Si tu veux ce pendant que je l'ai, tu vas remplir et signer la feuille que je t'envoie avec cette lettre et me la renvoyer aussitôt, cette formule pourra me servir pendant toute ton absence.

J'ai reçu ce matin une lettre de Mr Barangel pour toi, et en même temps Madame Barangel en a écrite une pour moi. Ils sont très gentils, ce sont de vrais amis. Pour ce qui est du travail nous avons aujourd'hui rentré le bois à Aubinet et commencé notre wagon, Bageot a été à la Martinière ce matin, demain il ira à la Budonière et Ficelle finira le charbon le matin et fera la vigne le tantôt ; henri fera le sel à Guillaume demain matin et ( coulera ?) pour André le tantôt, ça l'air de marcher! Je vais terminer comme cela pour ce soir car je ne veux pas mettre une autre feuille ta lettre serait trop lourde. À demain j'aurai sans doute de tes nouvelles. Je te couvre de baisers. Bon courage ta petite femme qui t'aimes autant qu'il est possible d'aimer! 

Célestine

PS: Monmonde t'as demandé davantage aujourd'hui, ce matin en se réveillant je lui ai fait dire "bonjour papa" et ce soir je lui ai dit : il faut dire bonsoir à papa, alors aussitôt elle a dit :"bonsoir mon petit papa " ce soir elle disait :" il est à Rueil papa, à se guérir. Ce matin Madame Patronat lui demandait où était son papa, sans hésiter, elle a dit : "il est à se guérir"elle commence à griffonner sur du papier disant qu'elle écrit à papa : « mon petit papa je t'aime » je les embrasserai bien sûr pour toi. 

Marie est un vrai diable elle crie, nous fait des comédies, je ne sais pas d'où elle sort celle-là ! 

Mille baisers, Cicine.

( fais pas attention aux fautes et aux, je ne relis pas)






La suite au prochain passage du facteur tant espéré par ces deux là qui s'aimaient et ne se reverrons jamais.  .
















Mathieu d'Arras

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