vendredi 20 octobre 2023

Courrier du premier juin 1925

 





Buzenval le 31 mai 1925


Ma chère petite Célestine


Je dispose, avant le déjeuner d'une bonne demi-heure, et je vais la passer avec toi, du moins en aurai je  un peu l'illusion.

Aujourd'hui dimanche ça va mieux qu'hier, le cafard ne dure pas toujours heureusement. Je pensais aller à la messe ce matin, puis après réflexion, je ne suis pas allé. D'abord mes souliers étaient plein de terre jaune, n'ayant ni brosse ni cirage, j'ai essayé de les nettoyer avec un chiffon, mais je n'ai pu y réussir. Ensuite je fais encore de la température, c'est la conséquence de la fatigue de ces jours-ci, on me dit de ne pas m'inquiéter à ce sujet, que cela peut durer ainsi pendant huit jours. Jeudi soir je ne l'ai pas prise, vendredi j'avais 38,3et hier soir 38,1.

Ce qui me fait plaisir, c'est que je mange bien, je ne sais si c'est le changement d'air mais tout ce que je demande c'est que cela continue, et je suppose que j'aurais pris du poids d'ici peu de temps.

Nous sommes en tout ici 36 malades, mais sur ces 36, il y en a la moitié qui reste à la chambre ; on n'y trouve de tout, des femmes jeunes, âgées ( il y en a une qui a près de 60 ans), des jeunes filles, et… des hommes aussi heureusement. Mes deux voisins de cure sont des femmes d'environ 35 ans et Mariées, par conséquent, tranquillises toi. Nous commençons la cure dès le matin sous une galerie comme celle que l'on voit sur l'album de la motte Beyron.

Il ne fait pas chaud le matin, et je n'ai pas trop d'une couverture,  aussi j'écris à Marie pour qu'elle m'en procure une autre ainsi que les sacs à linge. Ils s'estampent un peu trop ici, pour ces deux sacs, gros comme deux petits mouchoirs de poche avec une coulisse, ils me demandent 30 Fr.

Si j'avais su ce que je sais, je ne serais pas venu ici, d'abord on n'y voit le médecin que tous les huit jours, et il faut absolument un cas grave pour qu'il vienne dans cet intervalle. Je t'ai dit, je crois, qu'il y avait deux médecins ici : le docteur Poussard et son fils. Le père voit les malades une fois en arrivant et ne s'en occupe pas beaucoup après, c'est son fils qui nous suit.

Pour te donner un exemple de la bonne marche de la maison, je n'ai pu avoir de sucre avant aujourd'hui ( une livre par mois), il m'a fallu emprunter pour ne pas boire le thé ou le café au lait sans sucre. Malgré cela on s'en fait pas trop. Il y en a de plus malades que moi ici entre autres un jeune homme de 21 ans, pris des deux poumons et qui a de l'entérite, on doute fort qu'il s'en tire . Il est plus grand que moi il pèse 46 kg, je ne suis pas encore rendu à ce point. 

On soigne beaucoup par piqûre ici. Celles-ci sont faites par une infirmière. Il n'y a pas de sœur dans l'établissement, les chambres sont faites par des jeunes filles. Tout cela revient fort cher car il faut donner à la fin du mois des pourboires à tout le monde, tout cela pour être très mal servi, puisque j'ai été  obligé de vider ma malle et de plier mon linge dans les placards tout seul, ainsi que pour mes effets d'ailleurs, aussi je trouve cela un peu raide, de payer des prix pareils, et de donner des pourboires par-dessus le marché. J'ai payé ma première quinzaine, j'aurais grandement de quoi pour payer la prochaine, mais je n'aurais pas assez pour payer l'autre. Je t'avertirai à temps, et je ne sais trop comment je ferai à ce sujet car il n'y a pas de poste ici, c'est le facteur qui fait le service et il ne rembourse certainement pas les mandats.

Buzenval se trouve à 3 km de Rueil et à 2,05 km 500 de Saint Claude. Il n'y a aucune communication pour aller de l'un à l'autre de ces endroits sauf le dimanche, il y a un service d'autobus à partir de deux heures après-midi jusqu'à six ou sept heures. Autrement il y a des autos à Rueil et à Saint Claude, en somme pas de facilité pour venir, c'est assez embêtant, car nous sommes très libres et nous pouvons recevoir tous les jours le matin après neuf heures et le soir après trois heures. Il y a deux hôtels à Buzenval et je crois que tu pourrais y coucher, car ici il n'y a aucune chambre disponible.

Maintenant ma chérie parlons un peu de toi je vois avec plaisir que tu as l'air de prendre ( ....les choses en main...pas retrouvé la feuille supplémentaire..) 



Couéron le 1 juin 1925


Bien cher petit Raymond.

J'ai reçu ta carte ce matin, je ne peux pas te dire qu'elle m'a fait plaisir, car j'ai été beaucoup chagrin de penser, que tu te faisais de la peine. Songe donc, mon petit lapin, que si tu as le cafard, que si cela te donne mal à la tête et par conséquent de la fièvre, les docteurs du sanatorium ne voudront pas te garder car tous les traitements qu'il te feront ne serviront à rien et si cela arrivait, qu'est-ce qu'on fera après. J'aurais beaucoup préféré que tu te serais lamenté quand Monsieur Desclot nous avait averti qu'il fallait que tu partais et que maintenant tu serais résigné. En ce moment-là, te souviens-tu, c'était moi qui faisait la sotte, qui avait du chagrin, et alors tu me grondais : « tais-toi me disait-tu, vas t'en, tu me rends malade et me donne la fièvre, tu n'es pas raisonnable. Eh bien fais toi cette réponse à toi-même aujourd'hui et prends courage ! Je comprends bien que cela est très dur de tout quitter son foyer et sa famille, mais dis-toi donc bien que si le docteur t'a envoyé là c'est parce qu'il y a guérison pour toi. Donc ne va pas, par ta faute te détourner du bon chemin. Mr Moulinas me parlait l'autre jour de la belle-sœur à Mérieux qu'il croyait lui aussi faire traiter par le pneumothorax ( les insufflations), à près relevé de ses couches, mais il a dit que quand même elle est revenu le voir après son accouchement, il s'est aperçu que ce serait inutile, qu'elle était perdu, donc une preuve qu'ils ne font pas faire de frais quand ils jugent que cela ne servira à rien. 

Si par bonheur le bon Dieu après toutes nos épreuves nous accorde la grâce d'être tous ensemble, remercions-le d'avance et travaillons pour que cela arrive.

Est-ce que tu es inquiet de quelque chose ? Le commerce ne va pas mal, Bageot nous es bien dévoué, sois en sûr, il dirige son travail à l'avance, tous les soirs il vient me dire:  demain on fera cela, après-demain il y aura cela à faire. Ce matin Fuselle n'a pas voulu travailler car il avait sa famille, mais Bageot a fait la route de Nantes et Pontgibaut. Il a fait deux tours, on a vendu 35 sacs. Henri ( ps: très certainement Henri Dumoulin) a aidé à Jules à déménager ses bûches qu'il avait dans son grenier, comme André n'était pas venu, qu'il n'était pas trop pressé, j'avais dit à Bageot de l'envoyer, car il voulait faire cela avec la charrette à bras, ça aurait duré toute la journée. Tantôt Bageot  va avec la voiture au "chêne creux"  voir une vente qui a lieu chez la mère à Madame Auffray le boulanger, il y aurait paraît-il un certain lot de bûche, si c'est du bon bois et qu'il ne monte pas trop cher peut-être va-t-il en acheter. Il va avec le père Mercier de chez Mr Chassé, ils sont à atteler.

Et c'est peut-être Monmonde qui t'inquiète. Tranquillises toi elle n'est nullement en danger. Le radiographe l'autre jour me disait : « c'est un très gros ennui pour vous, mais ce n'est pas grave, car ses os ne sont pas malades, ils sont très sain ». Je crois que ce serait plutôt un peu héréditaire car ta cousine, Marie Doucet, c'est cela qu'elle a et n'a que 25 à 30 ans et ne peut plus faire de longues routes car elle fatigue beaucoup ; Madame Porchay me disait ce matin qu'à Nantes il y a trois petits cousins comme cela, et un de ses enfants a été plâtré, la maman en est très contente ; Madame Barbier de la verrerie, ainsi que j'ai déjà dû te le dire, l'a fait l'année dernière pour son petit garçon, elle en est contente elle aussi. Tu vois donc que cela est à faire, mais ne met nullement ses jours en danger. 

Parles-en si tu veux aux médecins du sana, je crois que les docteurs appellent cela une luxation congénitale, c'est-à-dire que la hanche n'est pas placé dans la cavité voulue.

Pour moi je me porte bien, la petite Marie aussi, tu n'as donc rien qui puisse t'inquiéter outre mesure, si de ton côté les docteurs ne te trouve pas mal. Prends donc sur toi et ne te fais pas de chagrin inutilement surtout que cela va te faire du mal. Mais surtout ne te fais pas de la peine sans me le dire, si je savais cela je deviendrais folle, je serai trois fois plus en peine. Veux-tu que je vais te voir avant juillet ; si oui j'irai, c'est dimanche aussi avant de faire traiter Monmonde, je pourrais peut-être partir la nuit et revenir de même. Je ferai pour toi tout ce qui me sera possible! 


Ce matin en passant devant l'église avec Monmonde je l'ai fait rentrer, elle a fait sa prière toute seule : mon petit Jésus guérissez mon papa, Jésus pour mon petit papa et tout cela à haute voix heureusement qu'il n'y avait que deux ou trois personnes, elle voulait donner des sous, et comme je venais de recevoir ta carte qui ne me donnait pas de bonnes nouvelles, je lui ai fait mettre deux Francs aux âmes du purgatoire en lui disant de dire que c'était pour son papa, ce qu'elle s'est empressé de faire en les mettant dans le tronc. Ici on ne vit qu'en parlant de toi continuellement, tu n'es pas oublié sois en sûre. Marie est parti pour la journée chez Tante Lulu, pour le moment Monmonde dors et ensuite sortira avec Madame Porchay, moi je vais faire la liste pour la "cité en bois" pour demain. Dois-je faire le compte à André pour le mois de mai ?

Ce matin j'ai pu avec ta procuration toucher la lettre recommandée, elle concerne la réclamation que l'office du Mans avait fait poursuivre, d'ailleurs je te joins cette lettre à la mienne, je crois qu'il n'y a qu'à laisser tomber, ils ont envoyé aussi l'avertissement que tu avais dû confier  à l'office du Mans. 


C'est tout ce que je vois te dire pour aujourd'hui, je t'écrirai un peu demain, je te gâte pourtant par les écritures, grand gourmand. Allons, au revoir mon chéri, j'espère que le prochain courrier ma portera de meilleures nouvelles. Que cette lettre te porte tout mon cœur et tout mon amour, s'il est possible.

Je te couvre de baisers. Ta Célestine


Demain matin nous ferons un enterrement à la cité, faudra-t-il 

prendre 20 francs.













Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire