dimanche 15 mai 2016

Transe pacifique


Les images du Pacifique dansent devant mes yeux et je voudrais qu'elles continuent  à le faire longtemps encore. la côte ouest de l'île d'Oahu Island, sous mon aile gauche me suit encore. C'est là que j'avais volé un peu de mon temps de préparation pour m'asseoir avec Michelle devant l'océan pour rêver du futur. Plus loin l'horizon cache encore l'île de Maui où Charles Lindbergh est enterré. Pour lui c'était l'endroit le plus merveilleux du monde. Bien vite le Pacifique se montre devant moi dans toute sa splendeur, une immense étendue d'eau à laquelle je devrai "me frotter" pendant trois jours et deux nuits

. Je suis de nouveau frappé par la même impression de vastitude que j'avais ressentie pendant mon tour du monde en ballon, sauf que cette fois je suis seul à bord, seul dans mon frêle habitacle suspendu à mes ailes d'albatros.

Et voici que maintenant, pour la première fois, le soleil se couche sur ma gauche alors même que se lève la lune sur ma droite, entre ces deux astres de petits nuages sont éparpillés sous moi, les rayons de la lune caressent la surface sombre de l'océan . Je me sens bien moins seul que je ne le craignais. A des milliers de kilomètres de la côte de Californie, la nuit, à deux mille mètres d'altitude, je ne me suis jamais senti aussi serein. Je me vois même surpris de ne pas ressentir le moindre sentiment  d'anxiété . Ceci est le monde que j'aime, un monde d'aventure fait de hautes performances, de concentration intense, de conscience de l'instant présent et de respect pour mon environnement.

Je volais comme en rêve, les éléments m'accompagnant paisiblement, c'était comme si le temps s'était arrêté.  J'aurais pu rester là, toujours, entre soleil et nuages, lune  et océan, dans cette machine d'avant garde qui me portait en silence.
A un moment, j'ai expliqué, par téléphone satellite, au secrétaire général des nations unies présent à Paris  pour signer l'Accord de Paris issu de la COP 21, que cela aurait pu être de la science fiction, mais que les nouvelles technologies du renouvelable rendaient désormais cela possible.
Je sais qu'un jour viendra où ces technologies seront d'usage habituel, banal.
Aujourd'hui, pourtant, je m'en émerveille et voudrais que les chefs d'états qui m'écoutent à des milliers de kilomètres à la ronde éprouvent les mêmes sentiments.
Je dédie ce moment à ceux qui mettent en place ces nouvelles technologies, à l'équipe extraordinaire qui rend possible cette aventure en travaillant jours après jours depuis des années.
Je n'oublie pas mon ange gardien...mon ambition lorsque je me suis lancé dans cette aventure  : utiliser son aura  symbolique pour porter un message, influer sur les décideurs du monde.

La mémoire de chacun de ces jours, de ces nuits, est au plus profond de moi, je rejoins les rangs de pionniers comme Dick Rutan, Jeana Yeager, Steve Fossett et André Borschberg, de tous les aviateurs qui depuis 1903, doivent toujours se poser à un moment ou à un autre, pour remplir leurs réservoirs de carburant.

Quand la côte américaine m'est apparue au loin, je n'est pas ressenti de joie, tout au plus un léger sentiment de soulagement, je ne souhaitais pas que ce voyage se termine!
Lentement, très lentement,  j'ai survolé le pont de la porte d'or, le Golden Gate Bridge. Ce pont qui accueilli pendant des décennies des vagues d'immigrants en recherche de terres, de liberté. C'est aujourd'hui un oiseau, un avion solaire qui traverse le pont et la liberté ce n'est plus un pays, mais l'accès à une source d'énergie inépuisable.

Et puis André m'accueille au fond de la baie de San Francisco que j'ai survolé pendant trois heures, mes roues touchent la piste, je me vois quittant le cockpit, mon esprit encore et toujours à l'intérieur, je remercie l'équipe, je salue la foule, mais ce que je vois moi,  c'est encore et toujours la lune se reflétant sur le vaste océan, je ne suis pas réellement redescendu à terre

Bertrand Piccard
8th May 
2016

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