mardi 25 avril 2023

La fille du charpentier





 La fille du charpentier 


Un beau jour d'automne, en avril 2023, sur un petit pont de pierre à San Martin de los Andes, province de Neuquen, Patagonie d'Argentine, une petite femme passe, s'arrête derrière nous pour nous parler des belles couleurs et des canards que l'on voit passer de temps en temps, nous bavardons  debout un bon moment regardons des photos de son jardin sur son téléphone, et, finalement, on parle d'une visite à sa petite maison dans les hauteurs de San Martin le lendemain. 

Jorgelina del Carmen Fernandez, notre rencontre du vieux pont, est née le 3 juin 1955 à San Martin de los Andes, alors qu'une épaisse couche de neige couvrait cette petite ville de Patagonie, elle en gardera une solide  constitution et une grande résistance au froid! 

Elle a eu la gentillesse, la simplicité de nous conter son histoire qui n'est pas un long fleuve tranquille! 

Son père, Francisco, menuisier charpentier, né en 1916, est arrivé, un beau jour du Chili proche, en 1948, pour trouver du travail à San Martin.

Il s'est marié au Chili quelques années avant, il a appris le métier de menuisier charpentier, mais aussi passé quelques années à " prendre soin des abeilles" chez un apiculteur, il adore ces insectes, n'a jamais utilisé de protection particulière et raconte à Jorgeline qu'elle se posaient sur sa figure sans le piquer et qu'il posait ses lèvres sur elles!

Sa première femme est morte de maladie au bout d'à peine un an sans lui laisser d'enfant! 

Francisco, travailleur et courageux est passé en Argentine , s'est posé à San Martin de los Andes, a commencé à faire de petits et de gros travaux de charpente et de menuiserie chez les uns et les autres, une pratique de construction à la tâche, selon la demande de particuliers qui construisent leur maison sur des années, encore très répondue en Argentine. 

Un jour , il a réussi à être embauché au service des parcs nationaux, il y est resté quelques années, mais n'a pas apprécié l'ambiance un peu trop porté vers la rigolade, la boisson, la flemmardise....Il a repris ses habitude de travail au jour le jour selon les demandes, satisfaisant pour lui, amoureux du travail bien fait.

Il s'est remarié, Jorgeline est née et, nouveau coup du sort, peu après la naissance d'un garçon l'année suivante, sa femme a disparue un jour emmenant le bébé et laissant seul Francisco avec Jorgeline qui n'avait que deux ans, Francisco n'a jamais plus eu de nouvelles ni de l'une, ni de l'autre! 

Ce père n'a eu d'autre choix que de faire garder sa petite par des familles des environs. Une enfance que Jorgeline considère malheureuse, allant d'une famille à l'autre...elle a eu malgré tout une éducation primaire satisfaisante, de bon niveau, un prix de " bonne conduite"

Francisco promène sa petite tous les dimanches, elle ne cesse de lui poser des questions sur tout. Il finit par lui répondre agacé:" Arrête de poser des questions, contente toi de penser"....Elle lui répond illico:" C'est quoi " penser" et lui de répondre :" Penser c'est faire quelque chose, aller chercher à manger, faire un meuble, s'occuper des abeilles ..." ! 

Il lui a sorti plus d'une fois que les humains sont moins sages que les oiseaux, car les oiseaux commencent toujours par se faire un logement, un nid, avant de faire des petits, mais que les humains font souvent le contraire....!

A 14 ans elle commence à travailler dans des " Hosteria" de la région, faisant un peu de tout. 

Elle s'attache à une Hosteria de la région au bord du " lago hermoso" appartenant à la famille Steverlynvk  ( voir article du diario andino de 2019, Patrick Steverlynck, projet de développement d'un site familial depuis 1975) où elle passera deux ans!

Mais sa grande chance a été d'entrer au service d'un autre hosteria tenue par Douglas  Reid, un homme influent de la région, une grande famille de la bourgeoisie locale. Elle finira un jour par être au service, pour leur fin de vie, d'une femme, Dorothée et de sa fille ensuite .

A la mort de cette femme, Jorgelina hérite d'un beau petit meuble en marqueterie et d'une boite de bijoux sans grande valeur ( elle vient d'offrir à Nicole un de ces bijoux).








Et la série continue, un jour, son père, en 1996, l'année de ses 80 ans, part , comme à son habitude, pour une longue promenade dans les sentiers escarpés qui montent sur les hautes collines entourant San Martin. Il ne reviendra jamais, trois mois après on retrouvera son cadavre momifié accroché à un arbre sur lequel il est tombé, ...Jorgelina nous a raconté, les larmes au yeux, qu'on la trouvé avec un bras dressé, l'index montrant le ciel.....


 Jorgelina adore dessiner, de fait, elle a un bon coup de crayon! 

Elle vit sa retraite dans une petite maison des hauts de San Martin, chaque mois elle paye son eau, son gaz, son électricité, il ne lui reste que le nécessaire pour vivre, pas de problème concernant ses économies qui seraient " mangées par les cent pour cent d'inflation qui minent l'économie de l'Argentine. Il en est ainsi d'une multitude d'Argentins...

Elle est entourée de fleurs, en compagnie de trois chats, l'un, Bicho, vit dans une boite en carton, bien emmitouflé le long d'une fenêtre l'autre vit derrière, dans une sorte de grosse niche avec une porte, il n'a jamais voulu entrer dans la maison, le dernier occupe une pièce dans la maison servant de débarras.

Lors de notre dernière visite, dans sa petite maison, elle nous dit qu'elle ne se plaint pas de sa situation financière actuelle, car elle sait  " tirer sur la ficelle", faire plus avec moins...! Elle sort un billet de mille pesos en disant :" Avec ça, aujourd'hui, on a seulement du pain, un morceau de fromage, et des bricoles pour la journée" ! Elle touche chaque mois 90000 pesos et commence par payer l'eau, le gaz, l'électricité et la contribution sociale locale, après il ne lui reste guère plus d'une paire de ces billets de 1000 pesos par jour pour manger et mettre quelques billets de côté ! Heureusement, Jorgelina est encore relativement jeune et n'hésite pas, si elle a besoin d'argent, à faire un petit travail ici ou là! 


Jorgeline nous raccompagne hier soir, descendant la rueColonel Perez, on traverse une ,dernière fois le petite pont de notre première rencontre, elle salue cordialement des tas de gens ! avant le pont de la rencontre, nous tombons sur Clélia, une femme de nos âges, manifestement issue de l'ethnie mapouche, qui, les présentations faites, nous raconte la perte de l'usage de sa langue maternelle par  les personnes de sa génération " car les "abuelas" ( grand mères) ont eu honte de leur langue, mais aussi d'un regain d'intérêt qu'elle ressent actuellement! 

On échange quelques mots: " Chüme leimi? ( je lui fait confirmer que chüme peut aussi se prononcer küme et signifie: bien, bon...et leïmi: êtes vous? ) 

Réponse habituelle: :" Chüme len ! (  Bien, je suis! )....Elle apprécie le geste du dictionnaire Mapuche / espagnol donné à la communauté d' Atreuco. On s'embrasse, on se quitte :" Païkouyé, païkouyé! ( j'avais envie de lui demander si elle connaissait le sens précis de cette expression utilisée pour se dire : "au revoir " pas trop le temps sur le trottoir.....100 mètres plus bas , Jorgeline salue un homme assis sur un muret :" c'est le frère de Clélia, il ne parle pas beaucoup "! Jorgeline se retourne alors vers la colline derrière, un fin croissant de lune vient d'émerger, nimbé d'un disque de brume:" Le temps va changer demain, la pluie!" puis elle nous quitte, très émue, heureusement, grâce à WhatsApp nous resterons en contact! 

Elle a raison, nous traînons ce matin nos valises vers le terminal de San Martin de los Andes sous un ciel nuageux et froid, on annonce de la neige dans quelques jours, il est temps pour les migrateurs que nous sommes de partir vers le Nord ! 


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