lundi 12 février 2024

L'annuaire et les femmes

 








Buzenval, le 29 juillet 1925

Ma Cisine bien aimée
J’ai reçu ta lettre hier matin, il ne faut pas trop te formaliser au sujet de ce qu’a dit le docteur, en somme, mon état est stable, avec plutôt une légère amélioration, puisque j’ai moins de crépitements que lorsque je suis arrivé. Ce qu’il faut d’abord, et surtout, c’est que la température baisse, car c’est le guide de la maladie. Si la fièvre est moins forte, c’est que les bacilles sont moins actifs, par conséquent que la lésion diminue. J’ai fait justement hier une température que je n’avais jamais faite ici : 37°, 8!
Je ne sais si cela va continuer, je l’espère, et je prie, toujours Notre-Dame de la Salette à cette intention. Il faut dire aussi qu’il ne fait pas une chaleur insupportable, au contraire, et je m’en réjouis, car une fois que la température aura baissé, je ne pense pas qu’elle remontera aussitôt. Je continue toujours le même régime de lait et d’œuf, je ne sais si cela va me profiter cette fois, je l’espère, c’est demain justement jour de pesée.
J’ai toujours pensé que ma dernière lettre était partie, je me suis mal expliqué au sujet de ta prochaine arrivée d’ici à la mi-août. Je pense que tu n’as pas compris quand même. J’ai voulu dire que tu pourrais partir le jeudi soir au train de neuf heures et j’ai marqué le vendredi. J’ai pensé depuis aussi à une chose, c’est que si tu étais là dès le vendredi, cela te permettrait d’assister à la visite du Docteur, et par suite de lui demander des explications nécessaires sur mon état.
J’ai toujours pensé aussi que j’irai te chercher en voiture pour que nous soyons tous deux présents pour la consultation. Mais pour cela il est nécessaire que tu te procures un indicateur du chemin de fer de l’État pour m’indiquer l’heure de ton arrivée à Saint-Cloud, à deux trains près. Il me semble que tu dois pouvoir être à Saint-Cloud à 9h au plus tard. Cet indicateur nous sera toujours utile pour aller dans le midi cet hiver…
Ici pas grand-chose de neuf, si ce n’est quelques nouveaux qui sont entre autres, un homme de mon âge, marié lui aussi depuis trois ans et père d’un bébé. Ce type est assez bien et pas fier. Au bout de deux ou trois jours, il était connu de tout le monde. Or, un soir que nous étions tous deux au salon, il me dit qu’il venait de discuter avec ces dames à la cure de questions religieuses et qu’il était lui-même catholique. Déjà heureux de trouver enfin quelqu’un de mon parti je lui dis que je l’étais moi aussi. Mais déjà il s’est rétracté, disant qu’il l’était en principe, mais qu’il ne pratiquait plus depuis 16 ans. Déçu J’entre en discussion avec lui au sujet des prêtres et de la confession. Finalement il me dit une chose que je ne peux pas croire, c’est qu’un jour, il avait alors 16 ans, sa mère ayant fait appeler le docteur à son sujet, celui-ci lui aurait dit en présence de sa mère : « Mon garçon, vous n’avez pas encore vu de femme, et bien il est temps que vous en voyez si vous voulez vous développer comme il faut. ». Je n’ai jamais entendu dire qu’un médecin ait donné de pareils conseils à quelqu’un..  


Je t’en reparlerai quand tu viendras. Jusqu’ici, je n’ai fait que parler de moi, j’espère que vous êtes tous en bonne santé. Tu as eu la joie d’avoir ta petite Marie dimanche, ce que je vais les trouver changées toutes les deux. Voici deux mois passés d’hier que je suis ici.
Allons, ma chère Cisine , je te laisse encore une fois en attendant de de te presser dans mes bras bientôt.
En attendant ces quelques jours de bonheur, je t’embrasse follement. Ton mari pour toujours
Raymond


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